dimanche 19 février 2017

Les Cités des Anciens 3 - La Fureur du fleuve - Robin Hobb (2011)


Parce que le Drake Azur va passer en mode libre dans Hearthstone, c'est à dire, en gros qu'on ne pourra plus faire l'inclure dans nos decks "de compétition", parlons de dragons qui restent, eux au moins ! Bienvenue dans Les Cités des Anciens 3, déjà ! "La Fureur du fleuve".   

Une carte tellement efficace _et belle ! Ca fait ch*er !!
Je m'en branle de l'équivalent en poussière arcanique, moi !!

Les dragons erratiques nés dans le Désert des Pluies sont tellement fidèles que les habitants n'ont de cesse d'essayer de s'en débarrasser. Les grands pontes ont donc sollicité les parias de leur société haut perchée pour, officiellement, les guider vers l'antique cité de Kelsingra dédiée aux dragons, et, officieusement, pour pousser bestioles et accompagnateurs vers la porte de sortie... Pour faciliter le transfert qui devra se faire par voie d'eau et par voir de terre, on a fait appel au capitaine Leftrin, à son vaisseau Mataf, à une "théoricienne" du dragon nommée Alise, et à son chaperon, le jeune Sédric. Le tome précédent nous avait raconté le démarrage de cette drôle d'expédition...    


Illustration : Robert Lintott
Editions Pygmalion, 2011


Où est-ce qu'on en était ? 

Alors que le caléchage des dragons mal formés se déroule plutôt bien, en dépit des chamailleries de leurs accompagnateurs, les éléments se déchaînent, mettant un bon coup de pied dans leur petite fourmilière flottante. En conséquence d'un tremblement de terre tout à fait incomparable à ceux vécus jusque là par les créatures du Désert des Pluies, le fleuve entre en crue très brusquement, cueillant les protagonistes en pleine action _qu'elle soit louable ou douteuse ; en effet, au moment où le cours d'eau s'emballe, emportant tout sur son passage, Leftrin est en train d'en coller une à Jess, le chasseur opportuniste qui en sait beaucoup trop long sur le passé du capitaine, tandis que Thymara console une Alise en pleurs, toujours prise entre raison et sentiments. Sintara regarde les deux femmes, contrariée : comment va-t-elle faire jouer la concurrence entre ses deux servantes si ces nouilles deviennent amies ? Les reptiles auront tout juste le temps de se mettre à l'abri avant d'être emportés par le courant, mais leurs gardiens seront moins chanceux. Le petit groupe, pas vraiment soudé mais un minimum solidaire va prendre des airs de radeau disloqué, avec toute l'angoisse que peut provoquer un drame aussi soudain. Quant au "pauvre"Sédric, il devra laver d'un plongeon dans les eaux acides sa mauvaise conscience, avec pour seule compagnie la petite dragonne qu'il avait quasiment vidée de son sang quelques jours plus tôt ! 

Pigeons, inquiétudes et fleuve en crue 

Si les titres les romans qu'on coupe et qu'on recoupe à loisir tombent parfois à côté de la plaque, ce n'est pas le cas de La Fureur du fleuve, bien au contraire. Ici, Robin Hobb évoque une catastrophe naturelle vécue de l'intérieur, c'est à dire qu'elle ne nous la décrit pas mais nous en donne une idée via le regard et les yeux affolés de ses personnages. Dans un premier temps, on accorde bien peu d'importance au tremblement de terre ; Leftrin et son équipage l'estiment costaud mais sans plus. A tel point que la crue du fleuve acide les surprend pour de bon. 

http://www.animallols.com 

Sur terre, que ce soit à Terrilville ou à Trehaug, les hommes avec et sans écailles souffrent du manque de visibilité de l'événement et des problèmes de communication aggravés par ce bon tour de la nature. Nous en avons un aperçu grâce à Erek et Detozi, les gardiens des pigeons messagers dont la correspondance ouvre chaque chapitre. Je ne sais pas si j'en avais parlé dans les précédents billets consacrés aux Cités des Anciens, mais leur parenthèse épistolaire, calée entre chaque nouvelle partie du roman, est une petite particularité de la série. Vous aviez pu découvrir les "légendes" des Six Duchés posées comme des enluminures au début des chapitres des L'Assassin Royal, et vous étiez sans doute restés dubitatifs face à l'épopée des serpents de mer amnésiques séparant les différentes scènes des Aventuriers de la Mer. Ici, vous aurez droit aux réflexions croustillantes des oiseliers maîtres des la communication qui assurent la diffusion des infos entre Terrilville et le Désert des Pluies _ et soyez-en sûrs, ils ne manqueront jamais de joindre des messages personnels échanges officiels. Grâce à eux, on comprend que le voyage anormalement long d'Alise et de Sédric inquiète leur entourage ; on mesure également la violence du tremblement de terre et de la montée des eaux du fleuve, qui amène Detozi à considérer dragons et gardiens comme perdus à tout jamais.

"Nous n'avons jamais connu une crue comme celle qui vient de nous frapper. [...] Les ponts et la Salle des Marchands ont subi des dégâts considérables. Je pense que nous ne saurons jamais ce que sont devenus les dragons et leurs gardiens".   

Ces petits interludes sympathiques m'ont fait penser à la correspondance d'Usbek et Rica décrivant avec ironie la société de leur temps dans les Lettres Persanes. Mais bon, vite fait hein ! Ca n'a absolument rien à voir !


Attention Spoiler  à partir du paragraphe suivant... 






Le choix de ne pas choisir 

Dans La Fureur du fleuve, tout le monde a peur et passe à la bagne avant d'avoir eu le temps de dire "fromage". Les parias baroudeurs stressent en comptant les disparus. Pourtant, plus de peur que de mal : un gardien mort, un autre disparu avec son dragon, et un chasseur mangé. Une broutille ! Du coup, les cerveaux et les hormones continuent à bouillir sous les casques des plus jeunes voyageurs, et a fortiori sous celui de la caractérielle Thymara. La fille à écailles ne supporte pas le côté bestial de ses compagnons de route, qui ont su tirer parti de leur mise à l'écart en s'affranchissant des règles sociales, et en baisant dans tous les coins. Son copain Kanaï ayant disparu dans le raz-de-marée, elle comprend qu'elle devient "prenable" pour tous les autres garçons seuls de la troupe. Voyant que ces petits branleurs lui tournent un peu autour, Graffe le chef de meute l'encourage à en élire un : certes, elle sera contrainte de coucher avec un gars qu'elle n'aime pas, mais ça aura le mérite d'éviter qu'elle ne se traîne un essaim d'abeilles au cul jusqu'à Kelsingra. Même son grand ami Tatou lui confirme cette solution de fortune... A l'issue de ces drôles de conversations menées les pieds dans l'eau acide, entre deux sessions d’éviscération de poisson morts, Thymara est doublement outrée : d'une part, elle est scandalisée de devoir renoncer à sa liberté pour avoir la paix. Si les autres se sont résolues à se maquer pour éviter de viol, elle ne compte pas en faire autant ! D'autre part, elle réalise que tout le monde a tiré son coup, ou s'est fait tringler depuis le début de l'aventure, sauf elle ! Entre dégoût de vivre dans un baisodrome et sentiment d'être la seule conne à avoir gardé ses morpions pour elle, la jeune fille fulmine mais tient le coup ! Beaucoup plus qu'Alise à qui on aurait pu attribuer ce rôle au tout début de l'histoire, elle incarne la fille peu soucieuse des attentes sociales et libre de faire ce qu'elle veut de son corps...



Parallèlement, les liens se créent et se renforcent entre les personnages, quels que soient leur nature ; il faut dire que dans l'épreuve, les situations ambiguës deviennent claires comme de l'eau de roche ; Sintara, la dragonne manipulatrice désireuse de susciter l'envie et la jalousie chez ses deux gardiennes, n'hésite pas à sauver la vie de l'une d'elle. Qui l'eût cru ? Sûrement pas elle. Thymara et Tatou se réconcilient et se rapprochent, maintenant que Jerd, enceinte, a officialisé sa liaison avec Graffe. Alise et Leftrin ne vont pas tarder à conclure (malgré les malentendus persistants, ahah). Même Sédric semble avoir un sérieux ticket avec le chasseur Carson, mais ne s'en rend absolument pas compte ! Le bear lui tend des perches de quinze mètres, mais il ne les saisit jamais.. Il semblerait que le précieux secrétaire de Hest soit quelque peu repoussé par la grosse bebar de son soupirant... Par contre, il découvre qu'il est capable de communiquer très nettement avec Relpda, la dragonne cuivrée...


Hagrid, le semi-géant sympa dans Harry Potter

Nous avions dit que le premier tome des Cités des Anciens était un éloge des déphasés. Le deuxième, la consécration des faibles. Eh bien, La Fureur du fleuve, ce sera le livre des moches ! Thymara et Alise comprennent toutes deux qu'on peut être moche et/ou recouvert-e d'écailles, et pourtant désirable. De toute façon, la notion de beauté devient vite dérisoire après un bain dans les eaux acides, dont on ressort forcément la gueule boursouflée...

Une fois n'est pas coutume, Les Cités des Anciens 3 - La Fureur du fleuve m'a un peu agacée : on tourne beaucoup trop autour des histoires de coeur des uns et des autres ; les états d'âme des personnages sont déroutants pour qui a connu l'histoire simple et profonde de Fitz et de Molly, et pour qui a pris la mesure de la passion dévorante du Fou. Cela dit, L'Assassin Royal, Les Aventuriers de la Mer et les Cités des Anciens sont trois oeuvres clairement distinctes qu'on ne peut comparer, bien qu'elles aient été écrites par le même auteur. Soyez-en sûr, les amateurs de Robin Hobb trouveront sans doute que ce troisième tome tient toutes ses promesses !
A vous de vous faire une idée.   

Robin HOBB. Les Cités des Anciens 3 - La Fureur du Fleuve. Pygmalion, 2011. Trad. A. Mousnier-Lompré. 359 p. ISBN 978-2-7564-0419-6



mercredi 15 février 2017

Matraque Chantilly : journal STOP - Marius Loris (2017)



En ce jour de Saint Valentin... 
 Ahah, même pas, on est déjà le 15 officiellement. 
Tant pis pour Cupidon, il l'aura dans la boite à Toblerone cette année... 



En ce jour, donc, 
et dans le cadre de l'opération Masse Critique, je tenais à remercier Babelio et l'Atelier de l'Agneau pour l'envoi de Matraque Chantilly : journal STOP, curieux ouvrage poétique publié par Marius Loris début 2017. 




Oh, je ne dirai pas que j'ai lu cet ouvrage facilement, au contraire. Bien que l'épaisseur du livre, son étiquetage au genre "journal" et la taille des caractères m'aient conduite sur les pentes glissantes de la suffisance, il a fallu m'y reprendre à deux fois pour bien entrer dans le texte et j'ai cru que je n'allais pas arriver à ficeler un billet critique dans le délai imparti _trente jours, tout de même ! 

L'auteur nous donne à lire le journal qu'il a tenu du 15 mars au 23 juin 2016 ; quand on vit au coeur de l'effervescence parisienne des manifs de contestation de la loi travail, au rythme d'une population qui craint les attentats autant qu'elle souffre de la situation d'état d'urgence, on a forcément pas mal de choses à dire. Mais encore faut-il être capable de coucher sur papier les particules de cette singulière ambiance, et avec les bons mots, s'il vous plaît. 

Marius Loris y parvient fort bien, d'une manière toute personnelle et très imagée ; lorsqu'il arpente les rues de la capitale sous un ciel changeant et dans une atmosphère électrique, rien n'échappe à son regard et à sa plume : petits commerces, visages remarquables à défaut d'être remarqués, grévistes furieux encadrés de très très près par la police... 

Les revendications sociales, les injustices n'empêchent pas la roue du temps de tourner pour tout le monde, vers l'avant ou vers l'arrière, voilée ou pleine. Se battre pour les autres, immortaliser leur combat par la poésie, oui. Utiliser ce dessein altruiste pour n'avoir pas à faire face à sa propre vie : non. Dans Matraque Chantilly - Journal Stop, le poète alterne entre les pages consacrées à la révolte populaire contre les abus des intégrismes, des politiques et des CRS, et celles relatant ses états d'âme : phase de deuil suivant à la perte d'une personne chère, la nostalgie, évocation d'un week-end au vert, agacement de l'artiste confronté à un manque d'inspiration passager..   



Comme le titre l'indique, le "journal" Matraque Chantilly est ponctué de STOP. A y regarder de plus près, il semblerait que très souvent ce "STOP" remplace le point final d'une phrase, si bien qu'on croirait que le texte est destiné à être dicté à un opérateur télégraphiste. Ce choix d'écriture donne une impression de tassement des mots et des idées, de vitesse puis d'arrêt brutal, pour mieux repartir _mais pas forcément dans le même sens. En fait, ce journal étendu entre mars et juin 2016 ressemble, de loin, au long cortège d'une manifestation qui avance à petits pas, interrompue puis poussée vers son point de rassemblement, avant d'être bloquée par les forces de l'ordre. Un pas en avant plein de tension, deux pas en arrière malgré les intentions belliqueuses, suivis d'une pause qui nous permet de ne pas louper toutes ces situations incongrues et risibles qui font le charme de la capitale lorsqu'elle s'agite. 

N'appréciant guère la poésie, j'ai du passer à côté d'une multitude de prouesses réalisées par l'artiste ; beaucoup de références ont du m'échapper. Il est possible que je vous parle très mal d'un livre qui mérite bien d'être lu. Alors je me contenterai de vous dire que j'ai été touchée, sans trop savoir pourquoi, par pas mal de phrases et d'images contenues dans Matraque Chantilly : journal STOP. 

Dont celles-ci : 
"la météo est changeante, pas la révolte. STOP" 
"L'amitié est un métier difficile mais c'est peut-être la seule voie STOP"
"(preuve que le paradis n'existe pas ou alors c'est une euthanasie cérébrale avec moutons roses)"


Ca sonne bien, ça sonne juste à nos oreilles. Voilà. Pour les arguments, désolée mais faudra repasser demain ! A votre tour d'essayer de dompter cette licorne écumante qui rue dans les brancards de son époque...  


Marius LORIS. Matraque Chantilly : journal STOP. Atelier de l'Agneau, 2017. Coll. Architextes. 94 p. ISBN 978-2-37428-001-1 


dimanche 5 février 2017

Divergente 1 - Veronica Roth (2011)


Bien résolue à me taper tous les romans pour ados qui "marchent", histoire de savoir de quoi je cause lorsque les élèves me demandent s'ils sont au CDI, ou si on peut les acquérir, j'ai récemment lu le tome 1 de Divergente. Ecrit par la jeune Veronica Roth en 2011 _et à seulement 22 ans, le roman en question fait partie de ces livres qu'on achète les yeux fermés, parce qu'ils sont devenus incontournables un poil avant ou après leur adaptation cinématographique. Ces livres qui sortent par pavés et qu'on ne prend par toujours le temps d'ouvrir...  



L'histoire 


Après des siècles de guerres et de discorde, les hommes ont trouvé un semblant d'équilibre en mettant en place une société utopique : ils se sont répartis en cinq "factions" autonomes mais complémentaires les unes des autres. Ainsi, le pouvoir est détenu par les Protestants Altruistes, femmes et hommes capables de faire abstraction d'eux-même pour mieux aider leur prochain ; les Vantards Audacieux agissent, mettent en application ou exécutent les ordres _sans oublier d'ajouter une touche spectaculaire à leurs mouvements. Le reste du temps, ils font du sport et comparent leurs tatouages. Les Intellos Erudits détiennent la culture et le savoir, et ont pour mission de faire avancer la recherche. Les Gens sans filtre Sincères ne savent pas mentir, pour le meilleur et pour le pire ; la justice, c'est leur boulot. Enfin, les Paysans Fraternels ont le monopole des matières premières et apportent une touche sociable à ce monde cloisonné. Chaque faction travaille pour les quatre autres autant que pour elle-même, poursuivant un but commun : le bien-être de tous. Vu de loin, ça roule parfaitement. Par contre, si l'on regarde de plus près...

Utopia - Thomas More

Béatrice est née parmi les Altruistes. Elle a seize ans et, comme tous les jeunes de sa tranche d'âge, le moment est venu pour elle de choisir sa faction : elle a la possibilité de rester une Altruiste ou de rompre avec sa famille pour entrer dans un groupe qui sera plus en adéquation avec sa personnalité. Afin  de les aider à faire leur choix, tous les adolescents passent un test de simulation individuel et confidentiel. Autant ne pas se louper car, quoi qu'il arrive, on ne peut plus revenir sur sa décision une fois qu'elle est prise. Béatrice est en panique car, contrairement à son frère aîné Caleb, elle ne se sent pas Altruiste dans l'âme... mais pas Audacieuse non plus, ni Fraternelle, ni Sincère, ni Erudite. Quant au test, il ne lui révèle rien sinon une information qu'elle doit s'efforcer de cacher : elle est "Divergente", c'est à dire qu'elle n'est faite pour aucune faction _ou bien pour toutes... Quoiqu'il en soit, son instructrice lui fait bien comprendre que cette particularité est aussi rare que dangereuse, et qu'elle a tout intérêt à la masquer.

Le jour de la cérémonie du Choix, et après bien des hésitations, Béatrice opte pour la faction des Audacieux. Oui oui, celle des fous furieux qui courent partout et sautent des trains en marche au risque de se péter la gueule juste parce que c'est fun. Le choc culturel est immense pour cette jeune fille un poil coincée du cul et pas sportive outre mesure, et plus encore pour ses nouveaux copains de faction peu habitués à côtoyer les "Pète-sec" _surnom péjoratif donné aux Altruistes. Le parcours du combattant commence dès la fin de la cérémonie avec un départ au pas de course pour choper un wagon censé les amener la Fosse, QG des jeunes Audacieux _ou presque, puisqu'il faudra passer l'épreuve du saut dans le vide pour visiter les lieux. Les nouveaux y suivront une formation accélérée afin de se familiariser avec l'esprit de la faction. Au menu : combat, sport et programmes de simulations où chacun affronte virtuellement ses peurs pour mieux les apprivoiser _ou pas.




Dans cette jungle où la loi du plus fort est toujours la meilleure, Tris _c'est ainsi qu'elle se fait appeler à présent, s'associe avec d'autres néo-audacieux dépaysés : Christina et Al, venus de la faction des Sincères, Will, un Erudit. De là à parler d'amitié... D'autres, comme Peter, deviennent rapidement des ennemis à abattre. A l'issue de leur initiation, les meilleurs d'entre eux intégreront la faction des Altruistes pour de bon. Les autres seront rejetés comme des merdes et deviendront des "sans faction". Etre un "sans faction" revient au même qu'appartenir à la caste des Intouchables en Inde, ou devenir SDF : c'est la hantise de tout le monde.

Malgré son physique chétif, Tris arrivera-t-elle à se faire une place au soleil ?  


Pourquoi ça marche ? 


Quelques années après sa sortie, Divergente est un roman toujours aussi apprécié des jeunes lecteurs _pour peu qu'ils n'aient pas peur d'ouvrir un livre de 450 pages. Pourquoi donc ? Après croisement des avis d'élèves et d'une lecture de l'oeuvre, les raisons du succès se dessinent tranquillement.




Déjà, Tris est une héroïne en devenir à laquelle il est facile de s'identifier : comme beaucoup de filles de seize ans, elle se sent moche, faible et ordinaire. Le regard des autres confirme sa piètre image d'elle-même ; ses échecs aux premières épreuves l'amènent à se classer dans les derniers et à se secouer pour rattraper son retard. Mais lorsqu'elle parvient à s'illustrer, à force de motivation et de travail, elle gagne le respect de ses pairs _et leur haine par la même occasion, puisqu'elle devient alors une rivale dangereuse. Pour le jeune lecteur, Tris est une source d'espoir et d'optimisme extraordinaire : en quelque jour, elle passe du statut de fillette nulle et maigre à celui de jeune femme forte et musclée _bonne à taper dans l'oeil de l'instructeur. 

Parlons-en, du prof ! Dans Divergente, le système scolaire se reproduit, bien qu'on semble faire abstraction des cours sans que ça manque à personne : on va pas commencer à faire le boulot des Erudits. On a quand même des dortoirs, une cantine où on mange des hamburgers, des petites soirées clandestines sympas et des instructeurs âgés de dis-huit ans, tous deux bien musclés, mais très différents l'un de l'autre. Quatre, le premier, est d'un naturel bienveillant bien que glacial au premier abord. Eric, le second, est un tortionnaire gueulard et sadique. Les novices sont classés et reclassés régulièrement au fil de leurs performances, histoire de maintenir l'esprit de compétition. En gros, on retrouve les repères du collège et du lycée en filigrane de la Fosse humide et métallique ; c'est toujours un peu rassurant pour le lecteur.


C'est gratuit ! Enfin, plus qu'un vrai...

Ensuite, l'histoire de Tris est celle d'une fille qui s'émancipe de sa famille, en dépit de son jeune âge. A la manière de Harry Potter lorsqu'on lui pose le Choixpeau magique sur la citrouille, elle hésite, pèse le pour et le contre, réfléchit. Après avoir refait le film de sa vie, culpabilisé vite fait sur la nature-même de son hésitation; s'être demandé jusqu'à quel point les vieux risquaient de faire la gueule, avoir estimé qu'elle ne se sentait pas capable de changer de vie, et puis en fait si, elle coupe le cordon et signe pour la gonflette et les tatoos. Elle résout alors le dilemme qui frappe tout le monde un jour ou l'autre : faut-il partir pour suivre sa propre voie, être assez égoïste pour faire faux bond à ses proches, ou rester près d'eux au risque de faire une croix sur ses projets personnels ?  

Bon, sachant que, d'après le dictionnaire Larousse en ligne, la divergence est soit la "situation de deux lignes, de deux rayons qui vont en s'écartant", soit une "différence, un désaccord d'opinion", ou, en géographie, un "courant marin qui s'écarte vers l'extérieur", Tris est un peu dans la merde quant à l'itinéraire à suivre pour réaliser son destin. Pourtant, parce qu'elle est différente et n'entre dans aucune des cinq cases sociales, elle montre les limites du système et présente un danger. Au fil des chapitres, on s'éloigne petit à petit du quotidien quasi scolaire des "apprentis" Audacieux pour s'infiltrer dans les rouages d'un univers trop bien organisé. On comprend que les Erudits sont en passe de déclarer la guerre aux autres, et notamment à ceux qui détiennent le pouvoir : les Altruistes. La faction d'origine de Tris. Celle qu'elle a failli ne pas quitter. Du haut de ses seize ans, et avec le soutien du beau Quatre, elle se sent investie d'une mission : contrer les desseins maléfiques d'une poignée de grosses têtes. 

Enfin, les personnages de Divergente apprennent à reconnaître leur peurs, à les maîtriser et si possible à les éradiquer via des sessions de simulation fort éprouvantes. Les fans de Matrix auront une légère impression de déjà-vu : après injection, les Audacieux basculent dans un monde virtuel où on leur balance à la gueule leurs pires terreurs : enfermement, noyade, animaux sauvages, rencontre avec des personnes craintes ou détestées... Libre à eux de se laisser terrasser, ou de prendre conscience qu'ils peuvent les vaincre avec leur seule force mentale. On ne manque pas d'être fasciné par l'écriture de ces scènes de simulations, qui donnent à réfléchir sur l'origine des peurs et la possibilité de s'en débarrasser. 

Matrix (1999)
Un poil moins trash que le Labyrinthe, un peu moins nunuche que Journal d'un vampire, Divergente est au final une lecture distrayante. Il s'agit, certes, d'un roman destiné aux jeunes adultes, mais il a l'avantage de sonner juste dans son traitement des personnages adolescents et d'accrocher son lecteur grâce à une histoire riche en rebondissements. Il me paraît également intéressant pour qui chercherait une nouvelle manière d'aborder les notions d'utopie et de contre-utopie... A suivre ! 


Bon, voici la vraie bande annonce de l'adaptation cinématographique de 2014...


Edition utilisée 
Veronica ROTH. Divergente 1. Nathan, 2015. ISBN 978-2-09-255298-8