lundi 22 août 2016

Le mambo des deux ours - Une enquête de Hap Collins et Leonard Pine - Joe R. Lansdale (2000)


A chacun sa façon de fêter Noël ; celle de Leonard Pine, c'est de faire flamber la maison de ses voisins dealers à visage découvert, sous les yeux de son nouveau petit copain complètement paniqué. Au beau milieu de ce formidable barbecue, et parce que la famille c'est important, son ami Hap fait irruption au volant de son pick-up. Suivi des pompiers. Suivis de la police, représentée par le sergent Charlie Blank qu'on a eu l'occasion de découvrir dans l'épisode précédent des aventures de Hap et Leonard. 




L'histoire 

Oui, Le mambo des deux ours est la suite directe de L'arbre à bouteilles. On y retrouve nos deux héros à grande gueule quelques temps après l'installation de Léonard dans l'ancienne maison de son oncle. Chacun a repris sa petite vie tranquille... Le blanc-bec enchaîne les petits boulots et fait le deuil de Florida, tandis que le black gay et fier de l'être écoule son héritage aux côtés de Raul, sa dernière conquête. Jusqu'à ce que Leonard se découvre cette vocation de pyromane et ne se fasse coffrer par ces ripoux de Charlie et Hanson, entraînant Hap avec lui. En bons filous, les policiers leur proposent un cadeau empoisonné : s'ils remplissent une mission pour leur compte, ils fermeront les yeux sur l'incendie de la crack house. Joyeux Noël. 

Evidemment, Hap et Leonard acceptent aussitôt : n'importe quoi plutôt que le trou ! Hanson leur demande de se rendre dans la bourgade texane de Grovetown, sur la trace de sa copine Florida _la jeune avocate black aux dents longues de L'arbre à bouteilles. Elle est partie là bas pour enquêter sur le possible meurtre d'un chanteur noir au passé sulfureux, et depuis, plus de nouvelles ! Comme c'est bizarre ! quand on sait que dans ce bled, tout retarde de trois siècles, surtout la mentalité des gens, et que le petit frère du Ku Klux Klan fait sa loi... Quelle inconscience d'être allée traîner là-bas, où le simple fait d'être noir peut vous attirer des bricoles.. Mais Florida est prête à tout pour faire parler d'elle...  

Hap et Leonard, la série télévisée adaptée des romans


Ce qui ne tue pas...  

Les déboires des deux vrais faux enquêteurs _ce n'est pas spoiler de dire qu'ils vont en connaître un paquet_ amènent forcément le lecteur à s'interroger : est-ce qu'il existe encore des Grovetown aux Etats-Unis ou ailleurs ? Les sociétés modernes sont-elles à l'abri d'un risque de régression ? Lansdale décrit avec tant de réalisme le racisme décomplexé des habitants de cette ville qu'on se dit qu'il n'a pas pu tout inventer ! Par chance, ses héros viennent tourner en dérision la suprématie blanche locale et n'hésitent pas à mettre les cow-boys locaux en face de leur stupidité ; et là, sachez-le, c'est parti pour une vanne toutes les deux pages, et des métaphores à s'en tordre de rire du début à la fin. 

Hap et Leonard repèrent les lieux sous une pluie battante et font le tour des figures-clés du village : Tim, le pompiste radin mais sympa qui essaie de leur vendre des pieds de cochons confits ; le chef de police Cantuck, sa couille hypertrophiée, et sa brute épaisse d'assistant : Reynolds. La patronne du café et ses deux fils quelque peu influençables... Dénominateur commun : tous ces gens n'aiment pas trop les Noirs, à des degrés différents allant de la crainte à la haine la plus crasse. Dans tous les cas, Florida reste introuvable. Oh, tout le monde l'a vue, surtout les hommes ; mais personne ne sait où elle est passée ; ou alors personne ne veut cracher le morceau... Du coup, on stagne comme les pieds de cochons du brave Tim au milieu de leur bocal. 

Il faut bien le dire, l'enquête patine un peu plus que dans L'arbre à bouteilles car cette fois-ci, les héros sont seuls contre le reste du monde et ne peuvent compter que sur leur binôme indéfectible. Humains avant d'être justiciers, ils seront même forcés d'abandonner temporairement pour assurer leur intégrité physique... et morale. L'espace de quelques pages, on se demande si la honte, la peur, la douleur vont finalement avoir raison d'eux, mais non. Quand on chute de vélo, il faut remonter dessus sans tarder, paraît-il ? Eh bien, quand on se fait tabasser par tous les clients d'un bar, c'est pareil. Il faut revenir y prendre un café quelques jours plus tard. Ou du moins essayer. Hap et Leonard le savent. Alors que la tension monte crescendo pour les pseudo justiciers, la pluie battante devient déluge, et les langues crachent leur venin : 

"Je vais vous dire, mon jeune ami, poursuivi Costard Gris, j'ai l'impression que vous être issu d'une bonne souche. Vous savez, c'est pour ça que vous êtes si nombreux, les gars, à jouer si bien au basket et au foot. C'est nous, les Blancs, qui avons sélectionné votre troupeau. On a pris un jeune nègre le plus imbécile, on l'a collé avec une grosse vieille mama black capable de supporter une queue de trente bons centimètres et de la largeur d'un poignet, et ce nègre, eh bien, il était du genre à baiser une vache si nos ancêtres le lui ordonnaient _et même s'ils ne le lui demandaient pas, d'ailleurs _, et il s'est tapé cette pute noire jusqu'à épuisement. Ensuite, peut-être que nos ancêtres l'ont fait monter par un poney ou un âne, juste pour mettre un peu de diversité biologique dans votre cheptel... Et grâce à cette planification, à travers des générations de chenils pour nègres, on a fini avec de solides bamboulas dans votre genre. [...]

Lorsque les rires se calmèrent de nouveau, Leonard poursuivit : 

"Vous savez, pour chacun de nous, quand on y pense, y a que ça...(il leva la main et forma un petit C avec son pouce et l'index.) qui sépare l'être humain de l'étron. Ouais, tous autant qu'on est. Je veux dire, c'est la distance entre les deux trous. En sortant, on a tous raté le cul de justesse. (Il abaissa la main, regarda Costard Gris et sourit.) Sauf vous, monsieur. Vous, vous avez réussi. Votre mère a chié une merde, elle lui a mis un costume et elle lui a donné votre nom."  



Rares sont les livres qui parviennent à vous plomber par les drames qu'ils mettent en scène et à vous alléger par l'humour qu'ils contiennent. Même si on rit autant qu'on pleure dans Le mambo des deux ours, l'auteur nous prouve que la blague et l'autodérision sont les meilleurs plaidoyers contre l'intolérance... et qu'on peut écrire des livres très classe avec au moins composé à 40 % de mots orduriers ! Les enquêtes de Hap Collins et Leonard Pine sont donc à découvrir absolument pour ceux qui ne les connaissent pas encore, même si vous n'aimez pas trop les histoires de meurtres : on va bien au-delà de la récolte d'indices, des interrogatoires en règles, et des autopsies gores. Chacun y trouvera son compte. 

Edition utilisée : 

LANSDALE, Joe R. Le mambo des deux ours. Une enquête de Hap Collins et Leonard Pine. Folio Policier, 2009. 380 p. ISBN 978-2-07-037962-0





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