samedi 7 mai 2016

Soyons sérieux ! Quels usages pour les jeux électroniques en classe ? Rapport d'étude (2009)


Faire apprendre en utilisant le jeu, de préférence électronique ou informatique n'est pas une excentricité de profs qui voudraient se démarquer de leurs collègues en testant de nouvelles méthodes sur leurs cobayes du moment. Si c'est encore ce que pensent certains parents déstabilisés par l'évolution de la société (et donc de l'école, forcément), ces idées reçues tendent à disparaître. Pour l'IFSE* et l'European Schoolnet**, il a même paru intéressant d'observer de plus près les expériences menées aux quatre coins de l'Europe afin de voir dans quelle mesure on pouvait se servir du jeu vidéo pour permettre aux élèves de progresser. Nous étions alors en 2009 ; leurs constats ont donné lieu à une étude réalisée par l'European Schoolnet, dont voici le rapport intégral. Afin de pouvoir répondre aux problématiques suivantes : "que peuvent apporter aux élèves les jeux électroniques lorsqu'ils sont utilisés en classe ?" et "quels sont les partenariats possibles entre l'école et l'industrie du jeu vidéo", elle s'organise en plusieurs temps :

- Pour commencer, une enquête "sur le terrain" d'expériences ponctuelles déjà menées en Europe. Huit pays ont été "visités" pour l'occasion : l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la France, le Royaume-Uni, la Lituanie et les Pays Bas.
- Un retour des enseignants concernés sur leur pratique, élargie à ce qui se fait dans les différents pays d'Europe, à ce qui ne se fait pas et pourquoi. En tout, 600 professeurs ont été questionnés et ont avancé des avis plus ou moins nuancés, allant du réel enthousiasme à des attitudes plus réservées.
- Un aperçu de la place du jeu électronique dans les systèmes éducatifs
- Enfin, elle présente différents points de vue de chercheurs sur les apports du jeu vidéo en contexte pédagogique.

Ce rapport d'étude est paru en 2009 ; cela signifie que les informations qu'il contient ne sont plus toutes fraîches, mais après lecture je dirais qu'on peut encore en exploiter une bonne partie.

Ouais, arrêtez de faire les cons, là ! Y en a qui bossent ! 


"Qu'observons-nous sur le terrain ?" 

Après une définition large du jeu électronique, insistant sur la grande variété de supports (console, portables, ordinateur) et d'activités possibles (jeux de rôles, jeux d'adresse, de stratégie, fonctionnement en réseau...), une sélection d'expériences parlantes menées un peu partout en Europe nous est présentée. C'est la partie qui se lit le plus facilement, dans laquelle ont peut piocher quelques idées quand on est prof... et qui va nous faire gagner du temps, grâce au bilan critique du projet qui suit le compte rendu.

Exemple 1 :  l'école Hojby au Danemark
Conformément au "Projet IMTF" (en gros, développement des compétences informatiques) en vigueur au Danemark au moment de la réalisation de l'étude, les jeux informatiques ont été introduits dans les enseignements de cette école, ouverte aux élèves. Il faut noter que les jeux utilisés en contexte pédagogique ne sont pas des jeux éducatifs, à la base : il s'agit des Sims2, de Patrician 3, de Harry Potter et l'Ordre du Phoenix et Zoo Tycoon. Mais, placés dans un contexte pédagogique, ils deviennent utiles. Par le biais des SIMS2, les enfant ont crée des personnages et des situations de jeu sur deux cours. Ils en ont gardé une trace et s'en sont servis pour produire un travail associant texte et image, dans lequel ils ont été poussés à présenter des personnages, à décrire un environnement... Par exemple, le jeu de stratégie Patrician 3 a favorisé l'étude de la société médiévale et notamment des relations de pouvoir. L'activité a même donné lieu à un jumelage entre deux écoles. Dans le cas de Harry Potter, une lecture du roman et un visionnage du film a précédé l'utilisation du jeu, rendant possible une comparaison entre l'oeuvre et ses adaptations. Toujours avec le développement des compétences informatiques

Exemple 2 : The Consolarium, c'est à dire le "Centre d'utilisation du jeu en contexte d'apprentissage" (Ecosse) 
Les élèves ont travaillé les maths avec le programme d'entraînement cérébral du Dr Kawashima tous les jours, pendant 20 - 25 minutes. D'autres ont utilisé Nintendogs, un jeu dont le but est de créer un chien virtuel et de le faire grandir au mieux ; ici, il paraissait utile dans le cadre de l'apprentissage de l'anglais. Les enfants étaient amenés à imaginer des histoires dont leur chien était le héros.


C'est mignonnnnnnnnn !

Exemple 3 : Les jeux sérieux comme stratégie de remédiation (France) 
Dans un collège français, le jeu Farm Frenzy, dont le but est de manager sa ferme, a été utilisé avec un groupe de six élèves en difficultés. Il a contribué à faire travailler les jeunes sur leur organisation, sur la verbalisation des difficultés rencontrées, sur la résolution de problème et sur le travail en collaboration.

Exemple 4 : Le projet Didactic Assisted by New Technologies / Iprase, Institut Provincial de Recherche, de Formation et d'Expérimentation (Italie)
Des jeux éducatifs informatiques sont utilisés dans le cadre du cours d'italien et de maths, afin d'illustrer le cours ou de tester les connaissances des élèves. 

Exemple 5 ; le jeu Frequency 1550 (Pays Bas) 
Ce quiz portant sur l'histoire d'Amsterdam en 1550 s'adresse en particulier aux adolescents, puisqu'il allie déplacement autonome sur le terrain et communication avec un outil numérique dont il a déjà la maîtrise. Les jeunes forment des équipes de 4, elles-mêmes scindées en binômes. Deux élèves se rendent en ville, et deux restent dans un laboratoire équipée de façon à pouvoir faire des recherches sur Internet tout en restant en contact avec "l'équipe de terrain". Ainsi, ils sont en mesure de se guider les uns les autres. Le but du jeu est de répondre collectivement aux questions sur la ville d'Amsterdam en l'an 1550, en tirant parti de la complémentarité des deux binômes. 
Personnellement, c'est l'exemple qui m'a fait le plus triper ! Si quelqu'un a déjà mené une aventure semblable dans son bahut, laissez un commentaire s'il vous plaît ! 

Ouais, je suis dans une période puzzle, désolée ! Vous remercierez ma pote !

Bien que très différents les uns des autres, ces cinq exemples sont tous novateurs et très enrichissants. Pourtant, les conclusions que les enseignant en ont tirées se font relativement souvent écho : 

- Le jeu n'est efficace que s'il est placé dans un contexte pédagogique précis ; un travail de synthèse est incontournable en fin de séance, afin que les élèves ne perdent pas de vue qu'ils n'ont pas "joué pour jouer", mais qu'ils ont acquis des connaissances, des savoirs-être en lien avec le cours. Si le projet dépasse le cadre de la classe et touche d'autres établissements, voire toute un région, c'est encore mieux car il prend encore plus de sens pour les élèves et devient plus visible (et souvent mieux appuyé...). Rappelons que "jouer en classe" n'est pas synonyme de rupture avec la pédagogie qu'on pourrait qualifier de "traditionnelle". Les deux approches, les différents supports sont complémentaires.

- D'un point de vue disciplinaire, le caractère ludique des activités n'a pas d'influence probante sur la progression des élèves. Toutefois, le jeu informatique favorise forcément les apprentissages numériques : il peut s'avérer déterminant dans le repérage des difficultés et la mise en oeuvre de stratégies de remédiation, comme c'est le cas dans les exemples italien et français notamment.

- Par contre, l'impact du jeu sur la motivation des élèves est indéniable, de même que sur le rapport de certains jeunes à l'école. Relier les apprentissages à leurs propres pratiques numériques favorise une mise en confiance et donne envie de repousser ses limites.  

- D'autres compétences relevant du développement personnel et du savoir-être sont plus facilement acquises, également, ou au moins améliorées : la concentration, les réflexes, l'imagination, la sociabilité.

- On constate d'ailleurs, pour chacun des exemples d'actions présentés, une implication sensible des instances éducatives ; elle est indispensable au bon fonctionnement du projet... et devrait être renforcée...

- En amont, il est donc recommandé de prendre le temps de monter son projet et d'en communiquer les grandes lignes à la famille ; en effet, il arrive que les parents aient une image négative des jeux vidéos et émettent des craintes lorsqu'ils apprennent que leurs enfants "jouent en classe", même en sachant que le professeur les encadre. L'enseignant gagnera à se poser comme "metteur en scène" de l'activité, et non comme "joueur spécialiste", même si une bonne maîtrise du jeu est requise pour mener l'activité. Lorsque cette étape de communication est passée, une amélioration du rapport entre l'école et les parents est perceptible.

- Il est important de souligner l'émulation pédagogique créee par ces pratiques novatrices : le partage des expériences citées a donné lieu à des échanges riches, des débats, des idées de prolongements des projets ou d'actions nouvelles. Dans tous les cas, l'enseignant doit, sinon maîtriser le jeu, au moins posséder lui-même des compétences numériques de base... et si ce n'est pas le cas, être formé...


Opinions et pratiques des enseignants

Généralement, les profs concernées par les expériences relatées dans cette étude en font un bilan positif de l'expérience, y compris lorsqu'elles représentaient pour eux un baptême du feu informatique. Si certaines matières se prêtent mieux à l'exercice (technologie, langues vivantes, histoire..) la motivation des élèves augmente dans tous les cas ; ce qui ne peut que satisfaire l'enseignant et améliorer les conditions de travail de tous. 

L'enquête a ensuite été élargie à un panel de professionnels de l'éducation exerçant en Europe, via un questionnaire en ligne portant sur l'utilisation des TIC à l'école. Les résultats ont parfois fait écho aux retours d'expérience déjà relevés ; parfois non... 

- Pour faire le portrait robot du prof qui "joue en classe", disons qu'il s'agit  d'une femme d'âge non déterminé oui oui parfaitement, ça peut aussi être une vieille ! qui utilise les couramment les TIC en situation pédagogique. Elle s'en sert pour faire grimper la motivation de ses élèves, pour qu'ils acquièrent des compétences en passant par des chemins différents, pour travailler sur leur savoir-être et pour promouvoir des valeurs humaines. Elle utilise un large choix de jeux sur PC ou console, parfois conçus par des pédagogues, mais plus souvent commerciaux et sans visée éducative particulière. Pour s'informer de ce qui se fait autour d'elle et pour améliorer ses séances, elle s'adresse à ses collègues et fait des recherches sur Internet.

Clichés clichés clichés... Ralalala !

- Contrairement à ce qu'on a pu "observer sur le terrain", les jeux vidéos sont surtout utilisés avec des groupes d'élèves rencontrant des difficultés, c'est à dire : les élèves à besoins éducatifs particuliers, les élèves en échec scolaire, démotivés ou qui marchent à la carotte  pourvus d'un fort esprit de compétition qu'il leur est utile d'exploiter. 

- Certains professeurs n'utilisent par les jeux électroniques, informatiques, vidéo... au sein de la classe et ils le disent ; on se doute bien que ce ne sont pas tous de gros réacs, hein. Ils donnent des arguments recevables et pointent du doigt des obstacles bien réels : le prix des jeux (eh oui, tout n'est pas gratuit ; l'achat du jeu / d'une licence s'impose... on va pas commencer à cracker à l'école, hein !), les contraintes matérielles (pas assez d'ordinateurs, classes trop nombreuses), les contraintes de temps (heures de concertation et de formation nécessaires et pas toujours prévues !), les difficultés d'intégration au programme scolaire de jeux pourtant intéressants du point de vue du développement personnel, et bien sûr les aléas de l'aspect "récréatif" du jeu. 


Quelle est l'attitude des systèmes éducatifs face aux jeux en classe ?

Gnééé ??? 
Là, comment dire ça bien... On va passer très vite sur le sujet, dans le sens où rien de très officiel ne se dégage à l'échelle européenne ni dans les systèmes éducatifs des voisins ; on ne sera donc pas surpris que les subventions accordées aux projets soient moindres. 

Les apports du jeu en classe sont reconnus et les instances s'accordent à dire qu'il faut les développer afin...
- ... d'aider les élèves en difficulté (Italie
- ... de modernisation de l'enseignement (Tous) 
- ... de familiariser les jeunes aux univers virtuels (Danemark) et  renforcer la prévention des risques liés aux jeux vidéos (Autriche). En ce sens, la conception des jeux par les élèves eux-même est préconisée.
-... d'encourager la créativité (Russie), et de renforcer les liens entre l'école et les parents via le jeu. 

Malgré ce manque de reconnaissance de la part des hautes sphères, les recherches poursuivies du côté des enseignants ont donné naissance à des communautés de pratiques qui ont de beaux jours devant elles ; bientôt, le jeu se sera fait un bon trou dans les TICE en Europe.



Ce que nous dit la recherche sur l'utilisation des jeux en classe

Depuis les années 1990, nombreux sont les chercheurs qui pensent que les jeux vidéos peuvent améliorer les connaissances et les compétences des élèves, de la même façon que toutes les autres tentatives de modernisation de la pédagogie. A ceci près que le jeu a l'avantage d'impacter directement d'évolution des apprentissages comportementaux (communication, résolution de problèmes.. ). Utilisé avec modération, il ne nuirait pas à la sociabilisation des enfants... Après tout, on sait depuis longtemps qu'un usage raisonné d'une nouveauté qui effraie est mille fois moins dangereux que l'ignorance... 

Dans le rapport, vous trouverez toutes les références des chercheurs qui se sont penchés avec intérêt sur la question des jeux vidéos/électroniques/informatiques comme outil éducatif : Marc Prensky, l'"inventeur" des "digital natives", ces jeunes nés dans un monde en voie de numérisation ; Mitra et Rana, passeurs d'une intéressante expérience sur des enfants capables d'utiliser un ordinateur au bout de quelques heures seulement, alors qu'ils n'en avaient jamais vu un de leur vie... ; Mitgutsch, qui insiste sur l'importance du côté divertissant du jeu vidéo ; Ko encourage à instiller en contexte pédagogique la démarche de résolution de problèmes rencontrée dans les jeux : Curtis et Lawson sont plus axés sur l'amélioration par le jeu de performance et de compétences déjà acquises, et un peu moins par l'apprentissage en lui-même.

N'hésitez pas à laisser en commentaire d'éventuelles remarques / erreurs constatées dans ce petit résumé... mais dans la bonne humeur s'il vous plaît. Si vous êtes prof, intéressé par les TIC ou non, je vous conseille de parcourir ce rapport d'étude qui vous donnera sans doute des idées d'activités, et quelques tuyaux, même s'il date un peu.

EUROPEAN SCHOOLNET. Quels usages pour les jeux électroniques en classe ? Rapport de synthèse. mai 2009. URL : http://games.eun.org/2009/05/research_results_released.html. Visité le 07/05/2016. ISBN : 9789078209881





J'en profite pour parler d'un jeu éducatif repéré via le catalogue 2014 - 2015 des ressources en Histoire des Arts du CANOPE, et testé dans la foulée : Vivre au temps des châteaux fortsIl s'agit d'un jeu de simulation où l'élève est plongé dans le quotidien d’un chateau fort et de ses environs, au coeur de la Normandie du XII°s. Il doit se déplacer à l'aide des flèches du clavier pour répondre à des questions et pour ramasser des pièces de puzzle. Ces dernières lui permettront de résoudre des énigmes ; à lui de se promener dans différents lieux en se repérant sur la carte affichée en haut à gauche de l'écran, à lui de cliquer sur les bons objets. Parfait pour des 5èmes ! 
Le tout est 100 % gratuit et disponible en téléchargement sur PC. Par contre, il nécessite l’installation de Quick Time 7 (sinon on ne peut pas lire toutes les vidéos qui permettent de répondre aux questions). 
https://www.reseau-canope.fr/vivre_temps_chateaux_forts/#
Vous trouverez plus d'informations sur le blog dédié au projet : http://vivre-au-temps-des-chateaux-forts.blogspot.fr/ 


*IFSE ; Fédération Européenne de Logiciels Interactifs
** European Schoolnet : réseau européen d'aide à l'utilisation des TIC à l'école, à travers un portail de ressources. Il travaille en collaboration avec 30 ministères de l'éducation. Site : http://www.eun.org/ 



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