samedi 31 décembre 2016

Les Cités des Anciens 2 - Les eaux acides - Robin Hobb (2010)


Puisque beaucoup d'entre nous ont passé Noël sous le crachin, une bonne crève sur le nez en prime, rendons-nous un petit hommage à travers les aventures de dragons malades immergés dans les eaux corrosives du Désert des Pluies... 




L'histoire

Les jeunes parias chargés d'accompagner les dragons défaillants depuis Trehaug jusqu'à l'ancienne cité de Kelsingra se sont regroupés. Ils font connaissance entre eux et avec les bêtes, avec lesquelles ils se lient pour former des binômes "reptile - gardien". Thymara fait l'expérience de la vie en communauté et en découvre les aléas... Tous sont bientôt rejoints par le  Mataf, navire qui doit les escorter dans leur voyage. A son bord figurent notamment Leftrin, le capitaine, Alise, la spécialiste des dragons venue étudier les curieuses créatures, et Sédric, son ami d'enfance.  

Un périple incertain et dangereux commence, à la grande satisfaction des uns et à la grande frayeur des autres. En effet, si tous rament pour atteindre une destination commune, chacun a en tête ses propres objectifs et compte bien tirer son épingle du jeu quand l'occasion se présentera. Il semblerait que même les plus jeunes des gardiens aient enfin compris qu'il importe plus d'éloigner les dragons gênants que de leur assurer une fin de vie décente...

Si le convoi écailleux n'avance guère dans Les eaux acides _mais quand même un peu plus que Fitz et le Fou sur l'île d'Aslevjal, faut pas déconner ! l'expédition prend une dimension initiatique pour plusieurs personnages. Dans les cerveaux, les chemins se dessinent plus ou moins clairement : les adolescents profitent de l'absence d'adultes et de règles claires pour libérer leurs hormones _comme Tatou, par exemple_, les plus vieux s'improvisent stratèges pour tisser de possibles histoires de coeur (Leftrin pour ne citer que lui), pour se faire du blé ou pour atteindre la gloire et la reconnaissance des pairs. le précieux Sédric et Graffe, sorte de cow-boy solitaire du Désert des Pluies, sont représentatifs de ce dernier cas de figure.

Les Beaux Gosses - Riad Sattouf (2009)

Le périple des faibles

Lors d'un précédent billet consacré au premier tome des Cités des Anciens, je crois que je vous avais dit que la série était bien partie pour être une sorte d'épopée des tordus et autres spécimens mal à l'aise dans leur société. Ou alors, je l'ai juste pensé très fort. Bref, je compléterai cette idée en ajoutant que les pauvres hères qui piétinent dans la fagne des dragons ne sont pas seulement décalés : ils sont faibles.

Déjà, les reptiles auxquels ces femmes et ces hommes ont choisi d'offrir leur vie _car c'est bien ce qu'ils font, tous !_ ne sont pas très frais, il faut bien le reconnaître. Certains d'entre eux en sont conscients et s'en trouvent d'autant plus complexés qu'ils ont la mémoire de leurs anciennes vies, où ils étaient tout fringants. Leur fierté et leur orgueil ne s'accorde plus vraiment à leurs pattes folles et à leurs parodies d'ailes. Cette situation est particulièrement dure à vivre pour Sintara, la dragonne bleue dont Robin Hobb nous raconte assidûment l'évolution depuis son encoconnage. A travers son regard, le lecteur sentira toute la détresse d'un être qui a le souvenir d'avoir été un jour puissant et qui enrage de n'avoir plus une pauvre once de force dans les membres. Ses propos sonnent très justes, malgré l'incongruité de la situation !

Comme un écho, l'auteur nous décrira, vers la fin du volume, la difficulté pour Thymara de devoir se résoudre à quémander de l'aide lorsque ses bras frêles ne suffiront plus à ramener au camp l'élan qu'elle a tué d'une flèche bien placée. La jeune habitante du Désert des Pluies ne devra pas seulement mettre ses muscles à rude épreuve : ses nerfs en prendront aussi un coup. Peu accoutumée à partager sa vie avec qui que ce soit, elle devra lutter contre les avances de Graffe, aussi manipulateur qu'attirant, et jouer des coudes pour reconquérir Sintara, "sa" dragonne _visiblement plus réceptive aux paroles enjôleuses d'Alise qu'aux siennes.

Pour la peine, invoquons un petit dragon mécanique !

La femme de Hest n'a pas vraiment envie de rentrer à la maison, contrairement à Sédric, son chaperon officiel. D'une part, parce qu'elle fuit ainsi l'oppression de son mari et mène enfin une vie qui lui plait au contact des dragons ; d'autre part, elle mangerait bien du Leftrin ! L'appétit est réciproque, c'est le moins qu'on puisse dire. Leur manège ne trompe pas une seule seconde l'oeil perçant de Sédric ! Le coeur du secrétaire _et ami d'Alise autant que de Hest_ s'emballe aussitôt : il aurait tout à perdre, si jamais le marin et la marchande venaient à consommer leur amour. Une relation hors mariage jetterait l'oppropre sur les deux époux jusqu'à Terrilville et montrerait que le "protecteur" a failli à sa mission. Sans nul doute, Hest se détournerait de lui... et ça, Sédric ne le supporterait pas. Résigné à poursuivre l'aventure à bord du Mataf sur les talons d'Alise, le secrétaire trouve une consolation : et si sa proximité forcée avec les dragons était en fait un signe favorable du destin ? Une écaille scintillante récupérée au sol et un peu de sang prélevé sur une bête mourante peuvent rapporter gros lorsqu'on sait y faire,.. Non, Sédric n'est pas une force de la nature ; oui, il aime son confort. Oui, ce drôle de voyage le pompe et l'incommode, mais il est prêt à toutes les extravagances pour se faire bien voir du cynique marchand Hest Finbok...

Gloire aux faibles, gloire à ceux qu'on envoie au casse-pipe en se disant qu'ils ne manqueront à personne : le salut viendra d'eux !


Attention révélation !!!! 



La touche gay !

Si Sédric n'a pas de poutre dans l'oeil quand il s'agit de lire le coeur d'Alise, il n'en a pas plus dans le cul _ce qui aurait tendance à lui manquer un peu plus ! Car oui, il en est, le bougre ! Pour la première fois dans son oeuvre, Robin Hobb met en scène des personnages homos _enfin, (presque) ouvertement, avec passage à l'acte et évocation d'une espèce de San Francisco des Rivages Maudits, où on s'encule allègrement  respecte le mode de vie de chacun. Plus rien à voir avec les sous entendus _magnifiques et émouvants, au passage _ du Fou : à Terrilville, on s'encadre dans les bois et on se fait des petites orgies sympas dans les résidences secondaires des marchands. Pas étonnant que Sédric ait envie de regagner ses pénates et craigne que le temps et la distance fasse oublier jusqu'à son existence au tyrannique Hest.

L'effet de surprise est d'ailleurs assez bien amené, puisqu'on ne devine aucune relation autre qu'amicale entre les deux personnages dans le premier tome, et qu'on pourrait même croire que le jeune Sédric est vaguement épris d'Alise... Ou alors, c'est moi qui ai récupéré la poutre, qui sait !

Une fois n'est pas coutume, on attribuera un Label Rainbow à Les Cités des Anciens 2 - Les eaux acides ! Youhou ! 

Terrilville Do Brasil. Tellement cliché mais tellement bon !

Au final, ce deuxième tome _enfin, deuxième partie du premier volume dans l'édition originale, suivez si vous pouvez ! se lit très vite et très bien. C'est toujours un délice de voir l'auteure déployer sous nos yeux les mécanismes psychologiques humains, pour chambouler l'évolution de son vaste univers. Par contre, je crains d'être un peu saoulée à terme par les amourettes des personnages, c'est pourquoi mon enthousiasme ne transpire pas trop dans ce billet, vous l'aurez vu. Mais il me tarde quand même de savoir comment les dragons tout cassés vont évoluer sur le chemin qui les conduit à l'ancienne cité de Kelsingra ! A suivre !


Robin HOBB. Les Cités des Anciens 2 - "Les eaux acides". Editions France Loisirs, 2010. Coll. "Fantasy". 400 p. ISBN 978-2-298-04830-8

dimanche 18 décembre 2016

La minute verte : Océania 1 - La Prophétie des oiseaux - Hélène Montardre (2016)


Je ne suis pas auteur, mais je pense que ce doit être un vrai casse-tête d'avoir pour projet d'écrire un roman traitant des questions de l'écologie, du réchauffement climatique, du développement durable... et d'aboutir sur autre chose que sur une leçon de morale plus ou moins bien dissimulée. Certains écrivains y parviennent avec plus ou moins de succès, mais ils ont le mérite d'essayer et leur seule tentative mérite d'être valorisée ; d'autant plus lorsqu'ils mettent leur talent au service de la jeunesse. Parmi eux, on peut citer l'auteure Hélène Montardre, connue pour les nombreux livres pour enfants qu'elle a publiés, et notamment la série Océania. Une fois n'est pas coutume, nous allons faire les choses dans l'ordre en parlant du premier tome, "La Prophétie des Oiseaux".  




L'histoire 

Depuis le naufrage du bateau transportant ses parents, Flavia vit avec son grand-père Antatole dans un phare, quelque part sur la côte Atlantique. Sans vraiment comprendre pourquoi et sans avoir de possibilité d'agir, ils voient l'océan monter un peu plus chaque jour, tandis que leurs voisins disparaissent peu à peu. A seize ans, Flavia n'est pas conne à ce point et se doute bien que quelque chose de grave se prépare ; mais comme les journaux ne laissent passer aucune information sur cette fulgurante montée des eaux, elle ne mesure pas vraiment l'urgence de la situation et laisse faire les choses. Internet ? Oh, ça fait longtemps qu'on n'a plus ça ici..

Un jour ce pendant, émergeant d'un affreux cauchemar dans lequel elle se noie, Anatole lui annonce qu'elle doit rejoindre la capitale pour gagner une place sur un bateau qui l'emmènera aux Etats Unis. Pourquoi l'Amérique ? Parce que c'est sur ce continent que tout le monde s'exile...

Flavia ne se sent pas prête à partir : d'abord, il serait égoïste de sa part d'abandonner son grand-père à l'Europe mourante, avec pour seule compagnie ces oiseaux qu'il observe et dont il est spécialiste depuis des décennies. Ensuite, l'insistance d'Anatole à la pousser de l'autre côté de l'Atlantique la laisse perplexe : voudrait-il se débarrasser d'elle ? Que lui cache-t-il ? Pourquoi ne lui demande-t-il même pas ce qu'elle en pense ?

Voyant que l'Amérique ne sera bientôt plus accessible que pas des voies clandestines, et que les places pour y accéder sont déjà très chères, le vieil homme veut sauver sa descendance au plus vite. Il sait que l'Europe va bientôt disparaître avec l'avancée des eaux. Tout comme lui. Mais Flavia est jeune, et il estime qu'elle a tout autant droit à sa chance de survie que d'autres adolescents thunement mieux lotis. Il fait donc appel à un marin de ses amis pour lui faire traverser la mer incognito... Bye bye le phare d'Anatole !


Désolée, mais moi quand on me parle de phare...


La Digue, la Digue...

Ce premier volume de ce qui sera, en fait, une tétralogie, se compose de deux grandes parties intitulées "Le Passage" et "Derrière la Digue". La première raconte, comme on peut s'en douter, le départ de l'héroïne et sa traversée houleuse (qui finira en queue de poisson, ahah). La seconde est centrée sur sa vie _mais peut-on vraiment parler de vie ? d'immigrée clandestine. A mon sens, il s'agit de la tranche la plus intéressante du roman ; ceux qui ont lu Reborn de Thierry Robberecht, dont il a été question ici-même il y a quelques années comprendront pourquoi. A l'heure où les jeunes et les moins jeunes s'interrogent sur les migrations qu'ils ne voient plus seulement à travers l'écran de la télévision, il est plus que jamais enrichissant pour les lecteurs de se mettre dans la peau d'un personnage européen, blanc, de la classe moyenne _bon, Anatole ne roule pas sur l'or mais il a un toit et l'eau courante _, lettré, dont l'existence confortable bascule vers la précarité. Une fois passée la Digue protégeant les Etats-Unis de la montée des eaux, Flavia rejoint les rangs des parias, de ceux qui ont eu le culot de vouloir vivre et qui doivent se cacher en attendant d'obtenir des papiers _ou pas.


Désolée, mais moi quand on me parle de digue... 


Autant dire qu'ils sont nombreux... Par chance, Flavia a failli se noyer à l'issue de son voyage à bord du Samantha, où elle avait eu le temps d'apprendre quelques nouvelles croustillantes de la Terre. Aux abords de la Digue, alors qu'elle est à moitié dans les vapes, elle rencontre Chris, un jeune aventurier new-yorkais dont le grand kif est d'escalader l'imposante construction dès qu'il a un peu de temps libre. C'est le coup de foudre immédiat, des deux côtés. Chris l'emmène dans son appartement prêté par un oncle qui n'attendait qu'une squatteuse, et à partir de là, elle pourra réfléchir sur son sort en toute sécurité. 

La jeune fille, qui, il faut bien le dire, a des airs d'adolescente fleur bleue un poil agaçant, va aller de découvertes en découvertes, dont celle-ci : ses parents scientifiques ne seraient peut-être pas morts.. Voilà qui change tout, mille dieux ! Pour en savoir plus, un retour en Europe s'impose, mais Chris n'est pas chaud. Dans les rues, la colère monte dans la grande communauté des clandestins tandis que les autorités américaines ont pris soin de laisser leur humanité aux vestiaires.     

L'écologie est ailleurs

Tous les ingrédients sont là pour nous faire comprendre qu'on n'attend plus que nous pour commencer la recette du roman écolo : prenez une fille élevée au grand air par un grand-père guetteur d'oiseaux, plus proche de la nature que des jeunes de son âge, aussi méfiante avec son prochain qu'une poule d'eau dans les roseaux.. Enlevez-lui ses parents scientifiques, dont la mort reste mystérieuse. Ajoutez à l'histoire une montée des eaux ravageuse qu'on devine conséquente au réchauffement climatique. Saupoudrez le tout des préoccupations nombrilistes de quelques grandes puissances ; et tout ce qui traîne, passez-le au four sans aucune pitié. Pourtant, si Hélène Montardre veut nous communiquer un message vert à travers Océania, il nous viendra sans doute dans les tomes suivants. "La Prophétie des Oiseaux" reste au final assez centré sur l'héroïne, son cheminement personnel, pour ne pas dire sa quête d'identité. Autant la critique des médias, malhonnêtes rétenteurs d'information voués à maintenir les population dans l'insouciance, est exprimée très clairement via la bouche du journaliste écolo Noël Nora, entre autres, autant les comportements suicidaires des hommes envers leur environnement naturel sont très peu évoqués. Au jeune lecteur de faire les déductions qui s'imposent en fonction des faits qui lui sont présentés : ce n'est peut-être pas plus mal ainsi, bien au contraire. Car du roman à la réalité, il n'y a qu'un pas !


Cet article est sponsorisé par Captain Planet ! 

Ce roman est arrivé au CDI au milieu d'une colossale livraison de spécimens de manuels scolaires. Il s'agit d'ailleurs d'une édition scolaire, où les enseignants disposent d'un dossier pédagogique complet. On y trouve un découpage de l'oeuvre suivant le schéma actanciel, quelques pages centrées sur les principales thématiques et des pistes d'activités transposables en classe.

Difficile en ce qui me concerne de s'attacher aux personnages, et notamment à l'héroïne _d'ailleurs, je n'y suis pas vraiment arrivée... La relation entre Chris et Flavia est assez nunuche, et les adolescents avec qui ils vont se lier d'amitié n'ont pas beaucoup de mordant, même et surtout quand ils se veulent rebelles et téméraires ; mais c'est peut-être parce que je me suis habituée aux collégiens de Seine-Saint-Denis : ils sont bien vivants, eux ! Du coup, il me semble que la crédibilité de cette histoire qui traite de questions graves et actuelles en prend un coup. Mais ça reste mon avis, rien de plus. Après tout, seul celui capable de faire aussi bien peut se permettre un jugement catégorique, et c'est loin d'être mon cas !

Alors, à vous de vous faire un avis !

Hélène MONTARDRE. Océania 1 - La Prophétie des oiseaux. Rageot, 2016. 400 p. ISBN : 978-2-7002-590-6


dimanche 11 décembre 2016

Héroïnes de BD - Lou ! 1. "Journal infime" - Julien Neel (2004)


Une nouvelle série sans fin vient de s'ouvrir : elle sera consacrée aux BD dont les personnages principaux sont des filles. Nous commencerons donc avec Lou ! 

Après en avoir beaucoup entendu parler du côté des élèves, des collègues et sur la toile, j'ai enfin entamé la lecture des aventures de Lou. Le tome 1 de la série de BD du même nom, créée par Julien Neel, s'intitule "Journal infime". Il est sorti pour la première fois en 2004. 




Sous ses airs de blondinette angélique, Lou est une collégienne parmi tant d'autres : elle textote en cours, sèche les cours d'EPS et impose ses propres modes vestimentaires. Vivant seule avec sa mère _une gameuse invétérée, elle semble parfaitement épanouie dans un univers où gravitent également Mina, sa meilleure amie grincheuse, Trisan, le jeune voisin qu'elle drague et le chat puant qu'elle a recueilli. Apparaissent aussi, épisodiquement, la grand-mère faussement acariâtre et Richard l'écolo, un thésard vêtu d'une peau de mouton qui aimerait bien se taper sa maman... 


Même si chaque planche contient son gag et peut être lue indépendamment des autres, l'album suit une chronologie allant du début à la fin de l'année scolaire ; les mois racontées dans "Journal infime" seront particulièrement riches en événements plus ou moins drôles et légers : les jeunes lecteurs retiendront l'arrivée inattendue du chat dans l'appart de Lou et de sa mère, suivie de l'emménagement de Richard, le voisin de palier. La grand-mère fera aussi un très très long séjour d'une semaine dans le cocon familial un peu bordélique, auquel elle ajoutera sa touche personnelle. Il va sans dire que quelques planches centrales sont réservées à la période de la Saint Valentin, durant laquelle mère et fille se montreront aussi hystériques l'une que l'autre.  


Adaptation au cinéma datée de 2014.
La mère paraît plus droguée et la fille plus psychopathe que dans la BD.
En même temps je n'ai vu que les extraits. 


En ouvrant l'album à la couverture colorée où le titre se déploie en lettres arrondies et où le rose domine clairement, j'étais en proie à quelques a priori : tout annonçait une histoire "pour les filles" en bonne et due forme _et surtout la double page initiale ; quelles conneries stéréotypées allais-je bien trouver là-dedans ? En fait, pas tant que ça. Bien sûr, Lou tient un journal, aime fabriquer ses propres fringues et se faire prendre en photo _avant d'estimer une "super sale face" _ce qu'on s'est habitué à attendre d'une fille, malgré nous. Bien sûr, son dessus de lit est un patchwork aux teintes douces et pastel ; bien sûr qu'elle est aussi chamboulée que dégoûtée quand elle découvre que le garçon qu'elle aime se cure le nez de temps en temps. Pourtant, Lou et sa mère vivent avec leur époque et savent habilement casser certaines de nos représentations : déjà, à l'appart, on n'aime pas trop cuisiner et on n'est pas trop doué pour ça. Ensuite, la console de jeux est à maman, et "l'ancienne rebelle" n'a pas l'intention de la céder à qui que ce soit, pas même au beau Richard ; à tel point que lorsque Lou ramène des amis, elle leur propose une "partie" plutôt qu'un petit gâteau ou truc à boire. Enfin, la jeune héroïne ne connaît pas son père et, alors que d'autres crieraient au manque, elle s'en fout royalement et le dit ouvertement à sa meilleure copine Mina. On est bien loin de la maman au foyer esclave de ses gosses et de la pression sociale ! C'est toujours bon à lire et à prendre.. 




Chez Lou, on aime les beaux mecs mais on aime encore plus la liberté et l'indépendance ! Au final, Lou ! 1. "Journal infime" permet de passer un bon moment au milieu de beaux dessins apaisants et de gags sympathiques qui parlent encore très bien aux collégiens d'aujourd'hui. Le coup de théâtre final vous donnera envie d'enchaîner au plus vite sur le tome 2.

La mère Ingalls likes it !

Julien NEEL. Lou ! 1. Journal infime. Glénat, 2004. "Tchô la collec'". 48 p. ISBN 978-2-7234-4275-6

samedi 12 novembre 2016

Larme de Rasoir Spéciale Couverture Déprimante ! Le garçon au sommet de la montagne - John Boyne (2016)


L'auteur du Garçon en pyjama rayé semble avoir voulu tailler dans la même veine en composant son dernier roman intitulé Le garçon au sommet de la montagne. D'ailleurs, la mention à ce magnifique ouvrage que je n'ai toujours pas lu _ne hurlez pas, c'est en partie parce que j'en ai beaucoup trop entendu parler !_ apparaît en bas de la première de couverture, juste au-dessus du nom de l'auteur.




LA couverture déprimante 

Oh, on aurait très bien pu se passer de cette discrète opération publicitaire tant le roman n'aura guère de mal à se vendre, étant donné la qualité de son contenu. Saucissonné dans des stries de fil de fer barbelé, le titre occupe les trois quarts de la page, en grosses lettres blanche sur un fond rouge sang. En bas, on devine la montagne plus qu'on la voit, comme assombrie au coucher du soleil. Le garçon _qu'on ne connaît pour l'instant que par le mot qui le désigne ! peut bien être au sommet des neiges éternelles s'il le souhaite, il ne respire par la liberté pour autant.. Contrairement à lui, un rapace prend son envol, tranquille.

Voilà une belle couverture déprimante comme on les aime ! Tournons les pages, à présent...



De quoi ça parle, sinon ? 

L'histoire débute en 1936. Pierrot Fischer, 7 ans, vit à Paris avec sa mère Emilie. Sa famille s'est disloquée quelques années plus tôt, lorsque son père s'est suicidé : en effet, cet ancien soldat allemand n'avait jamais réussi à se remettre complètement du traumatisme de la guerre de 1914 - 1918 et a fini par se jeter sous un train après avoir sombré dans la dépression. Depuis, Emilie travaille comme serveuse dans le restaurant de M. Abraham, tandis que son fils passe ses journées avec son copain Anshel, un petit Juif muet qui aspire a devenir écrivain. Mais ce semblant d'équilibre dure pas ; Emilie tombe malade et meurt à son tour. Pierrot est balancé dans un orphelinat orléanais.

Là, on se dit : bienvenue chez Charles Dickens ! D'ailleurs, le narrateur lui-même y fera allusion au détour d'un chapitre.. Eh bien, on se trompe. Pierrot ne fera pas ami ami avec Oliver Twist ! Le destin qui lui est réservé s'annonce bien pire, d'une certaine façon...

"Les gars, je crois que la soupe au choux est en train de remonter !"

Alors qu'il s'intègre bon an mal an au milieu des gosses abandonnés, sa tante Beatrix se manifeste et demande à en avoir la garde. Si Pierrot était au courant que son père avait une soeur, il s'était souvent demandé pourquoi il ne l'avait jamais vue ; il fallait croire que le moment était venu...

Le voilà parti pour l'Allemagne, et, après un voyage éprouvant où il se fera bousculer par un soldat nazi puis par quelques ados des jeunesses hitlériennes, il découvre la grande maison au sommet de la montagne qu'il habitera désormais, et dont Beatrix est la gouvernante. Tout le monde se montre plutôt sympa avec lui, que ce soit Ernst, le chauffeur, Emma la cuisinière, ou encore Herta, la "deuxième chef des bonnes". Mais il doit se plier à des consignes strictes qu'il ne comprend pas et contre lesquelles il se braque : ne parler ni de sa mère française, ni de la folie de son père, et encore moins de son ami juif. Pourquoi ? Parce que cela pourrait déplaire à Monsieur. Monsieur est le propriétaire des lieux, et même s'il est rarement là, sa menace pèse sur les épaules de tous.

Cependant, on comprend assez vite que le mystérieux Monsieur n'est autre que Hitler. Ceci explique cela.

A lire également : tous les "Dickie" de Pieter Von Poortere !

Après une ellipse d'un an, on retrouve un Pierrot -ou plutôt un Pieter_ bien changé... En quelques mois, le dictateur n'a eu aucun mal à laver le cerveau de l'orphelin fragile et déboussolé qui ne cherchait qu'un repère et une figure à admirer. Lorsque le Führer lui offre son premier uniforme de nazi en herbe, l'enfant se sent "adopté", pris au sérieux par cet homme capable de se montrer à la fois si doux et si dur avec lui _un peu comme son défunt père. Il ne voit pas que l'enflure est en train de faire de lui le plus fidèle des indics. Sa fascination aveugle pour l'odieux personnage va l'emmènera de plus en plus loin. Jusqu'à se retourner contre ceux qui ne lui voulaient que du bien. Jusqu'à prendre en note, sans vraiment comprendre _mais un peu quand même... les plans des camps de concentration. Froidement. Sans la moindre empathie. Car là où Pierrot se salit les mains, Pieter ne fait que son devoir de patriote.   

En racontant la descente aux enfers d'un gamin faible, malléable et désireux de faire enfin partie d'un groupe, Le garçon au sommet de la montagne est un de ces romans qui réveillent. Il gagnera à passer entre le plus de mains possible, d'autant plus qu'il s'adapte à très bien des contextes autres que celui de l'Allemagne nazie. Moi qui aime bien me moquer des livres tristes, je le recommande à tout le monde, jeunes et vieux, pour le lire, simplement ou pour l'étudier, si possible...


Voilà, la dame du CDI a tranché !

Du coup, notre interprétation de la couverture prend un chemin plus sûr ; on y retrouve les trois couleurs du drapeau nazi _rouge, blanc, noir.. Le lecteur contemple la neige depuis un camp entouré de fil de fer barbelé. Ah, il est à son aise, le Führer, là haut dans la montagne _ au passage, il s'agit d'un montage d'une photo du Mont Blanc. Au point où on en est, on peut partir du principe que l'oiseau qui vole au-dessus du titre est un aigle, symbole facho s'il en est. Il plane au-dessus de la tête du "garçon au sommet de la montagne", emprisonné dans ses idées arrêtées et serré de près par le maître "si généreux" qui a bien voulu le "recueillir" lorsqu'il était dans la difficulté... On remarquera que personne n'est représenté, même si tout est suggéré ; voilà qui colle bien à l'époque dont-il est question, Pierrot n'a-t-il pas vu sans voir, dit sans dire et fait semblant de ne pas entendre, de ne pas comprendre ? L'illustration se poursuit sur la tranche et sur la quatrième de couverture, pour une finalisation parfaite de ce bel objet.



Ne dis jamais que tu ne savais pas. (...) Ce serait le pire de tous les crimes."

Prozac d'or bien mérité pour cette oeuvre 



John BOYNE. Le garçon au sommet de la montagne. Gallimard Jeunesse, 2016. 272 p. ISBN 978-2-07-066996-7

vendredi 11 novembre 2016

Les Cités des Anciens 1 - Dragons et serpents - Robin Hobb (2010)


Ah ! Enfin la suite de l'Assassin Royal et des Aventuriers de la Mer ! Bon, le premier tome de cette "nouvelle" série à succès de Robin Hobb est sorti il y a six ans au moins, mais le plaisir de la découverte ne d'en trouve pas amoindri.   




Les Rivages Maudits, quelques années plus tard... 

Souvenons-nous de la fin des Aventuriers de la Mer et de ses principaux personnages : la dragonne Tintaglia avait fini par lier un pacte avec les hommes du Désert des Pluies. Il s'agissait pour elle d'accompagner les serpents de mer vers leur terrain d'encoconnage afin qu'ils puissent passer l'hiver à l'abri et devenir des dragons à leur tour. La portée de reptiles volants assurerait la défense des peuples du fleuve et des Terrilvilliens contre la menace des galères Chalcèdes. En contrepartie, les humains devraient vénérer les jeunes dragons et subvenir à leurs besoins. 

Une poignée de marchands, de marins, une vivenef et quelques citoyens du Désert des Pluies avaient rendu possible cette périlleuse entreprise par leur persuasion et leur courage. Ainsi le navire Parangon, commandé par Althéa et Brashen, avait joué les intermédiaires entre la dragonne volante et ses petits cousins immergés sur la route de la terre promise. Puis tous trois avaient mis les voiles vers d'autres horizons. 

Les Cités des Anciens débutent alors que les jeunes dragons brisent leur cocon sous les yeux émerveillés de la population locale. Mais tous se rendent compte peu à peu que, malgré leur soif de vivre et l'agressivité qu'ils manifestent, ces rejetons ne sont pas à la hauteur des espérances. Estropiés, faiblards et mal formés pour beaucoup d'entre eux, mentalement retardés pour quelques autres, ils paient le prix fort d'une trop longue errance en mer et d'un encoconnage tardif.

Par conséquent, Tintaglia semble s'en désintéresser et laisse les "bébés" au bons soins des humains désemparés... et effrayés ! Car si les dragonneaux n'ont pas la prestance de leurs ancêtres, ils ont quand même un ventre à remplir ! Les "chasseurs" payés pour leur fournir leur viande quotidienne peinent à suivre la cadence de leurs estomacs ; ne risquent-ils pas de dévorer à belles dents la main qui n'arrive plus à les nourrir ?

Voyant que Tintaglia ne donne plus signe de vie _ et pour cause ! Elle est bien trop occupée à s'accoupler avec Glasfeu, le dragon des Glaces que Fitz et sa bande ont libéré dans le tome 12 de l'Assassin Royal !!, le Conseil du Désert des Pluies et les marchands de Terrilville décident de rompre le contrat qu'ils ont passé avec elle. Une décision radicale est alors prise : éloigner les dragons des hommes, et les emmener dans un endroit où ils ne pourront plus nuire qu'à eux-même. Mais qui va devoir se charger de cette tâche aussi ingrate que dangereuse ?  




L'épopée des inadaptés 

Que fait-on lorsqu'on veut éviter d'avoir à faire le sale boulot ? On s'en décharge sur les cassos et autres illuminés, sur les gens incapables de refuser ou encore sur des particuliers désespérés au point de trouver votre corvée super intéressante ! Dans Dragons et serpents, ces profils-là seront incarnés par Alise, Sédric, Thymara,Tatou... et peut-être le marin Leftrin, capitaine de la vivenef Mataf.  

Robin Hobb a choisi, comme dans les Aventuriers de la Mer, une narration à la troisième personne où l'on voit évoluer parallèlement des personnages qui ne se connaissent pas mais qu'on devine amenés à se rencontrer à plus ou moins long terme. D'abord Leftrin, secrètement détenteur d'un bloc de bois sorcier. Puis Thymara, une jeune fille née dans le Désert des Pluies et porteuse des stigmates qui auraient justifié un abandon à la naissance si son père ne l'avait tant aimée : des griffes et des écailles. Sans avenir à cause de son physique disgracieux, elle est rejetée par tous et doit se méfier de sa mère qui a déjà tentée de la tuer, l'air de rien. Seuls son vieux daron et le jeune Tatou, un ancien esclave tatoué, semblent l'apprécier pour ce qu'elle est... 

A Terrilville, on retrouve avec joie le quotidien des Marchands, toujours engoncés dans leurs traditions, leurs protocoles et leur souci du qu'en dira-t-on. On se souvient d'Althéa et de son non conformisme, on découvre avec Alise une autre manière de contourner le système quand on est une femme moche et instruite. Après s'être associée d'un commun accord avec un marchand imbu de lui-même qu'elle méprise ouvertement et qui n'attend d'elle qu'un héritier, elle parvient à le manipuler assez bien pour lui arracher l'autorisation d'entreprendre un voyage au Désert des Pluies. Pour cette passionnée de dragons, c'est un rêve qui se réalise. Elle partira à condition d'être chaperonnée par le secrétaire de son mari, le gentil Sédric ; qu'importe le peu de confiance qu'on lui accorde, elle échappe ainsi à sa triste condition de femme de marchande et c'est déjà pas mal.  


"Je suis peut-être moche, mais moi un richou me paye ma croisière ! 


De leur côté, les jeunes dragons sont en panique. Grâce au souvenir des générations passées qu'ils portent en eux, il ont pleinement conscience de leur faiblesse. Ils savent d'instinct qu'ils ne sont pas tels qu'ils devraient être, et les rapports au sein de leur "couvée" d'infirmes s'en ressentent. Même si les tensions règnent entre eux, tous trouvent insupportable l'idée de vivre au crochet de pitoyables humains...  

Ce premier volet marque le début de ce qui ressemble fort à une épopée de bras cassés ! Ah, on est bien loin du fier marin, du preux chevalier et du majestueux dragons lanceur de flammes... Même Crocmou blessé était plus convaincant que Sintara, Ranculos (ahah... sans doute un prototype de ratage à mi-chemin entre un enculé et un spéculos ? désolée..) et les autres !  

Les fans de l'Assassin Royal et des Aventuriers de la Mer adoreront forcément, puisque l'histoire s'inscrit dans le même univers _dommage qu'on n'ait plus la carte des Rivages Maudits, d'ailleurs ! et que Robin Hobb arrive toujours à nous relater un contrat de mariage dans son intégralité sans nous perdre en route. Cela dit, il devient plus que jamais nécessaire de savoir où on met des pieds avant de se lancer dans la lecture des Cités : autant on pouvait lire les Aventuriers de la Mer sans connaître Fitz, autant lire les deux cycles de l'Assassin Royal en faisant l'impasse sur les Aventuriers ne risquait pas de gêner la compréhension, autant il me paraît compliqué d'"attaquer" l'oeuvre de Robin Hobb par Dragons et serpents. Si les personnages ne sont pas les mêmes dans dans les précédentes saga, la "mythologie" est posée et considérée comme acquise par le lecteur. On a l'impression que l'auteure a écrit pour son lectorat habituel avant tout... ce qui peut se comprendre, et ce qui nous arrangera bien, nous les groupies. 

le prof Gilderoy Lockart,
homme à fans dans Harry Potter 2 - La chambre des secrets 

Enfin, ce n'est que mon avis ! Si vous en avez d'autres, laissez un commentaire ! 

Vivement la suite ! 

Robin HOBB. Les Cités des Anciens 1 - "Dragons et serpents". Pygmalion, 2010. 336 p. ISBN 978-2-7564-0287-1

samedi 5 novembre 2016

Ils sont parmi nous !!! SuperS 1 "Une petite étoile juste en dessous de Tsih " Maupomé, Dawid (2015)


Les générations daronnes, dont l'avis est par définition respectable, considèrent que leurs enfants tiennent plus de l'extraterrestre que du terrien. Possible. Mais les petits héros de la bande dessinée SuperS battent des records d'étrangeté, ce qui ne manquera pas de ravir les jeunes lecteurs. 

SuperS - 1 - "Une petite étoile juste en dessous de Tsih" Maupomé / Dawid (2016) 

"Mais qu'est-ce que c'est que ce titre ? Ca sent la prise de tête, cette BD !" me suis-je dit en lisant une critique plus que laudative dans je ne sais plus quelle revue professionnelle bien daronnesque elle-aussi _ je crois que c'était InterCDI... Pourtant, en voyant le livre "pour de vrai", la couverture m'a immédiatement séduite et je m'y suis accrochée comme une grosse mouche à merde se prend au piège sur du papier adhésif... 



Mat, Lili et Benji sont des "nouveaux" : ils viennent d'arriver dans une petite ville et tentent de s'intégrer tant à l'école que dans leur environnement local. Si cette tâche n'est évidente pour aucun enfant, elle est d'autant plus difficile lorsqu'on cache un lourd secret et qu'on doit composer avec. C'est le cas de ces trois enfants qui viennent en fait d'une autre planète et qui, pour des raisons obscures, ont été "largués" sur Terre par leurs parents. Livrés à eux-même, aidés seulement dans leur vie quotidienne par une sorte de robot-gestionnaire aux faux airs de jouet d'éveil pour nourrissons, ils doivent à tous prix se fondre dans le décor et cacher aux yeux des humains les super pouvoirs dont ils sont pourvus... sous peine de devoir déménager de nouveau ! Pour Mat, l'aîné, perdu dans l'univers impitoyable d'un petit collège où les élèves populaires ne sont pas décidés à lui faire une place au soleil, la situation va être difficile à vivre. D'autant plus que Lili et Benji lui font péter un câble par leur imprudences _ne serait-ce qu'en utilisant la lévitation pour ranger les boîtes de raviolis dans la cuisine, face à la fenêtre, sans se rendre compte que n'importe quel passant pourrait les voir... 

Faut jamais me dire "ravioli"... 


Fait pas bon être un super-héros ! 

Ceux qui connaissent l'histoire de Superman, ou qui ont lu le roman Numéro Quatre s'amuseront à reconnaître dans SuperS les travers du héros condamné à vivre comme un diamant planqué dans une bouse de vache : le gros bras qui n'accepte pas qu'on tourne autour de sa copine et qui lui en colle une sans qu'il puisse répliquer (alors qu'il pourrait le casser en deux d'une pichenette...), le train d'avance de l'extraterrestre, au niveau scolaire, qui suscite autant de méfiance que d'admiration, l'absence terrible des parents, la peur permanente d'être démasqué par une presse locale au taquet... Mais au lieu de les calquer purement sur des histoires à succès, les auteurs se les réapproprient pour mieux les ancrer dans la réalité un peu cruelle du petit collège : dans ce monde-là, la carte de cantine de Mat ne marche pas, les professeurs vannent "le nouveau" autant que les élèves, le personnel éducatif n'a pas vraiment le sens de l'accueil et la jolie Jeanne, son seul rayon de soleil, préfère l'antipathique Franck... Heureusement, la famille est là ! La force de cette bande dessinée est, à mon avis, en plus de ses qualités esthétiques indéniables, le traitement de la relation entre frères et soeurs. Tous trois sont très différents : Mat joue les exemples au delà de ce que ses frêles épaules lui permettent de porter, Lili apporte une touche zen qui ne se refuse pas, et Benji galère à canaliser sa nature bagarreuse ; mais tous trois souffrent du même manque de leurs parents, dont seul l'aîné semble avoir un souvenir précis. 

Benji me fait penser à Benjamin, le petit frère de... Matthias dans le manga Lucile, amour et rock' n' roll..
Bon ça date..  

Les dessins de Dawid, séduisants depuis la couverture jusqu'à la dernière page, transpirent à eux-seuls cette tendresse familiale ; les couleurs chatoyantes situent l'histoire dans une province chaude où on voudrait tous vivre _si seulement la mentalité de ses habitants s'accordait avec la beauté du paysage. Quant aux trois personnages principaux, ils ont de bonnes bouilles qui nous donnent presque envie de les adopter.  
          
A lire quel que soit votre âge : vous vous régalerez forcément des clins d'oeils à la société d'aujourd'hui qui parsèment les vignettes. Cette BD peut-être intéressante pour travailler sur le harcèlement à l'école, car certaines scènes sonneront plutôt justes aux oreilles des collégiens. Pour info, le tome 2 va sortir bientôt, à moins que ce ne soit déjà fait ?.. 

Extrait de la page 8

MAUPOMÉ ; DAWID. SuperS - 1 - "Une petite étoile juste en dessous de Tsih". Les Editions de la Gouttière, 2015. 112 p. ISBN 979-10-92111-25-5







mardi 1 novembre 2016

Djedré de Cavillon - Patrick Joquel (2016)


Merci aux Editions du Jasmin et à Babelio pour l'envoi tout frais du dernier roman de Patrick Joquel : Djedré de Cavillon, dans le cadre de l'opération Masse Critique Jeunesse. A chaque fois que la chance m'a été donnée de recevoir un ouvrage, j'ai toujours eu de bonnes surprises ; c'est encore le cas cette fois-ci. 




En écrivant cette histoire destinée aux jeunes lecteurs, Patrick Joquel s'est livré à un exercice sans doute aussi passionnant que difficile : celui de reconstituer la vie de Djédré, une femme préhistorique morte 24000 ans plus tôt aux environs de l'actuelle Vintimille en s'appuyant sur les minces éléments historiques dont il disposait. A savoir, un squelette et des atours, une sépulture décorée de coquillages et de dents d'animaux, un dessin sur la paroi de la grotte où elle a reposé pendant si longtemps... Qui était-elle ? Quelle statut occupait-elle auprès de ses semblables ? Quelles mésaventures ont bien pu déglinguer son squelette ? Qui décida que sa dernière demeure serait la grotte du Cavillon ? Encore aujourd'hui, on n'est pas en mesure de répondre à ces questions. Pourtant, avec un peu d'imagination et beaucoup de documentation, l'auteur a réussi à donner un aperçu poétique mais plausible ! des derniers mois de cette dame que les archéologues ont longtemps désignée comme "l'Homme de Menton".


Ca s'est passé par là... 


L'histoire 

L'hiver approche. Comme tous les ans, le chasseur Segure et sa tribu ont pris pris la direction des falaises pour affronter le froid, bien à l'abri dans les grottes. La marche a été longue et fastidieuse, surtout pour Djedré, la sage guérisseuse à la jambe estropiée ; heureusement, ils seront bientôt arrivés. Tout dans son corps lui rappelle qu'elle est une vieille femme, mais elle garde pourtant le sourire en se nourrissant de l'espoir que lui donnent les trois adolescents du groupe, pleins de vie et unis comme les doigts de la main : Rousso, le vigoureux chasseur, Scalza le suiveur et Scarassan, l'artiste rêveur plus prompt à dessiner sa proie qu'à l'alpaguer avec une lance... Djedré de Cavillon nous fait vivre cet hiver à leurs côtés ; en quelques mois, leur vie va prendre un tournant important. Entre deuils, passage à l'âge adulte et ébauche de projets d'avenir, ils se demandent à juste titre si leur fraternité ne va pas d'effriter avec le temps...

Le cycle de la vie 

A mon avis, certains jeunes vont se lamenter du manque d'action _malgré la narration de quelques scènes de chasse rondement menées par le trio infernal de la tribu. Pas de courses poursuites à dos de bison au programme ; oh, les chevaux sont bien là, mais ils n'ont pas été encore domestiqués : on ne les monte pas, on les tue et on les mange. Éventuellement, on les dessine sur le sol ou dans la pierre... Nous ne sommes pas ici spectateurs d'aventures. Nous passons l'hiver aux côtés des personnages, et l'espace de quelques heures, nous découvrons leur philosophie de la vie. Beaucoup seront surpris de la vision de la vie et de la mort que pouvaient avoir les hommes à cette époque, et qui nous apparait à travers les pensées des adolescents et de la "vieille" Djedré _qui s'est éteinte à 37 ans, en fait. Parce que l'existence était plus brève, parce que la survie était la principale préoccupation des tribus, les hommes se prenaient moins la tête en futilités et accueillaient la mort comme une ultime étape de la vie. Ce n'est pas pour autant qu'ils étaient bourrins au point de ne pas s'inquiéter des faibles _ le chef Segure se préoccupe de la veuve Ciappa, malade et dépressive, tandis que les jeunes prennent soin de Djedré en la sentant faiblir. Bien sûr, Patrick Joquel a écrit un roman, par un livre documentaire. Mais la sépulture de la Dame du Cavillon témoigne de l'estime que ses semblables devaient lui porter. Qui sait, peut-être n'est-il pas tombé si loin de la réalité ? On peut rêver, puisque l'auteur nous en donne généreusement les moyens !


"C'est l'histoire de la viiiie"

Différences  

Le jeune Scarassan, plus malingre que ses deux amis et moins habile à la chasse, se distingue des autres. Mais pas dans le mauvais sens. Il n'est pas un faible que Mère Nature n'a pas réussi à éliminer. Il n'est pas un poids pour la tribu, que les autres ont envie de railler et dont la virilité est remise en cause. En effet, tous savent que, si Scarassan est "différent" des autres, il a aussi des atouts que d'autres n'ont pas _ou qu'ils n'ont pas découverts : le sens de l'observation et le goût des arts. Il réfléchit avant d'agir et fait gagner du temps aux autres en leur faisant profiter de ses talents apparemment secondaires. "Dans un groupe, les connaissances se partagent"Bien sûr, Sigure émet des craintes quant à la vie future du jeune homme et s'en ouvre à Djedré _comme d'habitude. Elle lui répond de fort belle manière :

"Cependant je m'interroge Djedré. Si Rousso et Scalza taperont les mains sur leurs cuisses quand je leur annoncerai, est-ce que Scarassan se réjouira ? Il est si différent des autres.
_ Moi aussi je suis différente. La différence, ça n'empêche pas de vivre ensemble."   

La guérisseuse décide alors de le prendre sous son aile et de le former afin qu'il soit capable de prendre sa suite lorsqu'elle ne sera plus. Il ne pourrait trouver de mentor plus encourageant en la personne de cette femme âgée et affaiblie, au bras et à la jambe brisés, qui sert pourtant de gouvernail à toute la tribu sans que personne ne trouve rien à redire. Même si ce n'était pas forcément le but du jeu, un collégien pourra y lire un beau pied de nez fait à l'intolérance ! Bientôt, en plus de ses dons, Scarassan possèdera le plus précieux des biens : le savoir.


De Noûm à Scarassan 

La lecture de Djedré de Cavillon m'a ramenée en sixième, lorsque nous avions étudié, en bons Périgourdins, Les Cavernes de la Rivière Rouge de Claude Cénac avec notre professeur de français. Vous savez, celui qui nous a fait écouter le Petit Prince... On avait fait une sortie à Cap Blanc, avec questionnaire à remplir, rédac à la clé et tout le barda... Enfin bon, Lascaux et l'Homme de Cro Magnon sont un peu nos fiertés locales, en même temps ! Tout ça pour dire que, j'ai trouvé autant de similitudes que de différences entre Djédré de Cavillon et les Cavernes de la Rivière Rouge. Dans la première oeuvre, Scarassan, voué à devenir guérisseur _ mais intégré socialement, puisqu'il se lie à une femme et garde son statut de chasseur, ne cherche pas à cacher sa particularité. Dans la seconde, nous avons le jeune Noùm ; ce dernier est lui aussi amené à suivre un enseignement auprès du sage Abaho, Mais il ne le fait pas de gaîté de coeur : l'adolescent a eu la malchance de se blesser avant le début de la "migration" d'hiver de ses semblables et ne peut donc pas les suivre. Il n'a pas de prédisposition particulière à cette fonction, il a simplement loupé le coche d'une intégration réussie : pas de gloire à la chasse, pas d'amis avec qui s'amuser, et même la jolie Tsilla lui passera sous le nez. Qui voudrait d'un canard boiteux (absent) ? Pas les parents de la fille, en tous cas. A la fin du roman, Noùm est partagé entre la satisfaction de servir enfin à quelque chose dans la tribu, tout comme son maître Abaho, et la frustration de voir sa copine avec un autre gars _moche, en plus.

Ah, que de bons souvenirs ! Il faudra que je lise la suite des Cavernes de la Rivière Rouge, un jour, tiens !



Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé Djedré de Cavillon, depuis la superbe couverture sur laquelle la Dame est représentée à partir des éléments du squelette dont on dispose _bravo Mme Claire Vergniault _ jusqu'au clin d'oeil des ultimes pages dont je ne dirai rien, en passant par les photos d'ornements retrouvés près de la sépulture...


Djedré, à ne pas confondre avec Giedré !

Patrick JOQUEL. Djedré de Cavillon. Editions du Jasmin, 2016. 136 p. ISBN 978-2-35284-171-5


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lundi 31 octobre 2016

L'histoire d'Halloween sans queue ni tête de citrouille : la porte du monde des morts


Un milieu d'histoire à la con pour un soir de fête à la con ! 
Vous trouvez pas que ça tombe bien ? 



Le mur était tagué d'inscriptions fleuries. Ma pote en palpait les briques avec expertise, et je la regardais distraitement jouer des paumes. Curieux. Ce n'est pas ainsi que je m'imaginais la porte du monde des morts. Pas la moindre brumeille mystérieuse au-dessus du rempart, ni même un semblant d'aura lumineuse sur la paroi. Les anges ne s'étaient pas tirés du lit pour nous encourager à coups de harpe. Non, le passage vers l'au-delà n'était autre que le petit frère rachitique du mur de Berlin, en encore plus dégueu. 



Est-ce que la grand-mère serait là pour m'accueillir, de l'autre côté ? C'était peu probable. Comment aurait-elle su que je venais ? Toujours est-il que moi, il allait falloir que je la trouve. J'en ressentais un mélange de joie et d'embarras. Les interrogations se heurtaient sous mon crâne ; dans quel état allait-elle m'apparaître ? comment allais-je m'y prendre pour la retrouver ? et si elle avait gardé son enveloppe de jeune fille 100% occitanophone ? là, j'étais pas dans la merde... Or un sentiment de culpabilité, tapi dans l'ombre, me guettait et prenait le pas sur ces questions existentielles. Quand avais-je été à la hauteur de ses espérances ? Jamais. A présent je redoutais de potentielles retrouvailles autant que je les souhaitais. Je n'avais pas honte de ce que j'étais devenue, bien au contraire, mais ça restait beaucoup moins classe que ce qu'elle aurait voulu. 

"Je penserai à toi jusqu'à mon dernier souffle" 

Voilà ce qu'elle m'avait dit maintes fois, tandis que je repoussais de la main ce moment qui n'arriverait peut-être jamais, qui sait ! Si on se donnait la peine d'y croire... Parfois je me demande si j'ai vraiment été dans ses dernières pensées claires, et j'aime à penser que non. Ça me briserait de savoir qu'elle n'ait pu que constater mon absence à ce moment-là.  

"Ah !" 

En poussant un cri de satisfaction, ma palpeuse de parpaings me tira de ma torpeur. Sa main se plaqua avec force sur une grosse bite peinte à la bombe, et sous la poussée, trois ou quatre briques s'enfoncèrent. Le mur semblait avoir englouti son avant bras. Sans plus se poser de questions, elle se laissa tomber à la renverse dans l'espace béant et bientôt je ne vis plus que ses pompes. De peur de passer pour une conne trouillarde en restant plantée là, et de peur aussi de louper je ne sais quel mystérieux wagon, je l'imitai. Elle avait l'air de savoir ce qu'elle faisait, elle. 

Tu veux booster tes stats ? Fous des dessins de bites dans tes articles !
Imparable !

Ce qui se passa ensuite est difficilement descriptible ; imaginez-vous bloqué dans un ascenseur sombre avec très peu d'oxygène à votre disposition. Eh bien c'était un peu ça, à la différence qu'on n'était pas du tout dans une cabine et qu'autour de nous s'étendait le vide, sombre et froid. Alors qu'on aurait pu s'attendre à tomber, on montait. Enfin, on aurait dit. Ou alors on était en apesanteur. Je ne saurais dire exactement. 

Nous nous faisions face et pour être honnête, c'était pas la grande poilade. 

Heureusement, ce fut bref. 

Enfin la lumière de nouveau, suivie d'un chaleureux accueil de l'air ambiant. Ce n'était pas dommage. Chez les morts, il faisait beau et bon. En deux sauts de cabris, ma chère soeur de traversée disparut de mon champ de vision. Elle avait ses propres affaires à régler, et si je les devinais quasi semblables aux miennes, je m'étais bien gardée de l'assommer de questions. Notre amitié fonctionnait ainsi : "va pour les bons délires, l'écoute et la loyauté indéfectible si tu veux, mais ne viens pas marcher sur mes plates-bandes. Ainsi les petits moutons seront bien gardés." Comme dans un couple, des amis devraient toujours s'aménager dans le cœur une petite retraite inconnue de l'autre.

Enfin, la chienne ! elle n'avait pas traîné pour se carapater ! J'étais là, seule dans les broussailles du "Monde des morts" _avait-il un véritable nom, au moins ? bien décidée à retrouver ma grand-mère mais bien incapable de savoir quelle direction prendre. Derrière moi, la friche dans laquelle nous avions atterri. En face, un halle de marché où erraient quelques vieux. Cet endroit me disait vaguement quelque chose...  




vendredi 28 octobre 2016

Rue Jean Jaurès - Frédéric Michelet et la Compagnie Internationale Alligator (2016)

L'autre soir, une collègue professeur d'histoire-géo est arrivée au CDI comme d'habitude avec son groupe d'élèves d'Aide Personnalisée et a annoncé : "Aujourd'hui, on refait la Révolution !". Elle comptait en fait orchestrer une reconstitution de la société française telle qu'elle pouvait être en 1789, dans laquelle ses 4° incarneraient soit le Tiers Etat, soit le Clergé, soit la Noblesse. Ce jeu de rôles avait pour but d'amener les jeunes à comprendre les déclencheurs et les enjeux de la prise de la Bastille et du joyeux bordel qui a suivi. Autant dire que ça a marché : les élèves de 4ème se sont prêtés au jeu, même s'ils ont d'abord été déstabilisés _mais pas bien longtemps ; et au final, ils ont tout compris car le cours d'histoire avait pris pour eux une forme réelle.


Ce même soir, j'ai commencé à lire Rue Jean Jaurès, une retranscription d'un spectacle de rue du même nom, crée par le comédien et metteur en scène Frédéric Michelet et par la Compagnie Internationale Alligator (CIA). Le texte est paru aux Editions Entretemps en 2016 et fait belle figure dans la collection "Scénogrammes". Au passage, merci à elles, ainsi qu'à Babelio, pour l'envoi de cet ouvrage dans le cadre de l'opération Masse Critique.



Comme son titre l'indique, Rue Jean Jaurès retrace la vie du célèbre philosophe devenu homme politique sans perdre de son humanisme. "Rue Jean Jaurès", parce que nombreuses sont les villes françaises à avoir la leur. "Rue Jean Jaurès" parce qu'à travers ce spectacle sa vie va se rejouer sous nos yeux de citoyens version 2016. Il fallait y penser. D'ailleurs, ce spectacle s'inscrit, à mon avis, dans la même démarche que celle adoptée par ma collègue prof d'histoire géo lorsqu'elle a choisi d'aborder la Révolution française sous l'angle de la mise en activité des élèves. En effet, si l'on parle d'un personnage important de l'Histoire _Jean Jaurès_ en le faisant déambuler dans un décor on ne peut plus actuel, non seulement nous sommes plus sensibles à sa vie et à ses messages car il est "incarné", mais il devient en outre plus facile de mettre en miroir ses combats avec ceux de notre société actuelle. Cent ans après son assassinat, il est troublant de voir avec quelle facilité on peut faire des liens entre l'Histoire d'hier et le monde d'aujourd'hui...

En quelques phrases, en quelques répliques, à travers le jeu d'acteurs-scénaristes bien documentés, le spectateur retrace la trop courte existence de Jean Jaurès, depuis son enfance jusqu'à sa mort, en passant par son entourage familial, via le regard de ses amis et de ses opposants, en slalomant entre événements politiques et culturels de l'époque... pour arriver aux prémices de la Première Guerre Mondiale. L'ouvrage est vite lu ; on suppose la prestation théâtrale légère et sans plus de longueurs ; et pourtant, aucune étape de sa vie n'est laissé de côté. Pas même son entrée en politique, qu'on connaît finalement peu ; encore moins son investissement dans la naissance de l'Humanité ; et certainement pas ses prises de position lors de l'affaire Dreyfus. Je ne pense pas trop m'avancer en disant que chacun apprendra de Jean Jaurès et de son époque quelque chose qu'il ignorait.

"Devine c'est qui !"

Jusqu'à présent,  je n'avais jamais lu d'écrit basé sur un spectacle de rue, car, comme vous le savez à présent, ma sensibilité aux arts du vivant sont moindres... Bien que Frédéric Michelet et ses acolytes ne fassent pas exception à la règle, j'ai beaucoup apprécié cette redécouverte de Jean Jaurès : quelqu'un aura donc enfin ! réussi à le libérer des manuels scolaires de 3° !

A découvrir absolument, même si vous non plus vous ne savez pas toujours faire la différence entre un acteur de théâtre et un mec bourré. Même si l'Histoire ne vous passionne pas. Surtout si elle ne vous passionne pas. D'autant plus que le texte est accompagné d'une documentation historique complète sans être indigeste.


Frédéric Michelet et la Compagnie Internationale Alligator. Rue Jean Jaurès. L'Entretemps, 2016. "Scénogrammes", série "Rue". 96 p. Prix : 15,50 €. ISBN 9782355392221


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samedi 15 octobre 2016

L'assassin royal - 13 - Adieux et retrouvailles - Robin Hobb (2006)


Je me suis longtemps lamentée d'avoir découvert L'Assassin Royal dix ans après sa sortie, soit bien trop tard à mon goût. Aujourd'hui, tout en tournant les dernières pages de la série, je m'en réjouis : au moins, je sais qu'il y a une suite intitulée Le Fou et l'Assassin. Les fans de la première heure n'ont pas eu cette chance et ont dû éprouver pleinement la tristesse des adieux faits à Fitz et aux autres ! 



Où est-ce qu'on en était ? 

Le prince Devoir, la narcheska Elliania et leur délégation sont rentrés dans leurs contrées après l'aboutissement de leur quête. Ils sont à présent libres de faire leur vie au nez et à la barbe de ceux qui ne voient pas leur union d'un très bon oeil. Seul Fitz demeure sur l'Ile d'Aslevjal : anéanti par la mort du Fou, le Bâtard au Vif ne conçoit pas de reprendre une vie tranquille de garde royal à Casltelcerf sans avoir tiré son ami hors de son tombeau de glace. Son besoin de solitude ne sera pas longtemps satisfait : premièrement, Lourd a échappé au retour en bateau et traîne encore dans ses pattes. Ensuite, il fait enfin la rencontre de l'Homme Noir, qui se révèle être un affable Prophète Blanc physiquement marqué par son échec...   



Attention ! Spoilers ! (oui, ça commence tôt, aujourd'hui...) 




On ne meurt que deux fois 

Après en avoir appris encore un peu plus sur son rôle dans l'avancée du monde, Fitz laisse Lourd aux bons soins de l'Homme Noir et retourne dans la glaciale Cité des Anciens ; non sans peine et sans souffrances, il retrouve le cadavre de son "Bien Aimé" dont les tatouages dorsaux ont été cruellement arrachés, et tente de le porter en surface. Encore faudrait-il qu'il soit résolu à accepter sa mort... En coiffant la couronne de bois ornée des plumes trouvées sur l'Iles des Autres, il parvient à ressusciter le Fou... après avoir rencontré de drôles de poètes dans un énième voyage onirique. Tiens donc ! Ce retour du pays des trépassés ne vous rappelle rien ? FitzChevalerie n'a-t-il pas lui-même connu l'état de mort, autrefois, avant de basculer dans le corps de son loup-frère de Vif ? N'a-t-il pas été conservé en vie par le Fou, à l'issue de son combat contre Laudevin, le chef des Pie ? Il semblerait que, chez Robin Hobb, la mort ne soit pas définitive (sauf pour Burrich et quelques autres malchanceux, apparemment...). C'est bien pratique, mais... les résurrections commencent à être un peu trop courantes dans son oeuvre pour être pleinement appréciées...




Le sauvetage du Fou donne pourtant un nouveau souffle à l'histoire, et une trop grande liberté aux personnages principaux ! Le destin du Prophète Blanc était de mourir dans le château de la Femme Pâle et celui de son Catalyseur dépendait de la mort du Prophète. Mais, comme Fitz a changé le cours des choses poussant très loin son attachement à l'homme aux multiples facettes, ce n'est pas le cas. Les deux amis sont bien vivants et n'ont plus d'ordres à recevoir de personne ! Toute une vie s'étend devant eux, avec son lot de choix à faire et de décisions à prendre. Qui ne serait pas effrayé par tant de liberté ?

Plus rien ne les oblige à se séparer, à présent ; et si le Prophète... qu'on suppose jaune maronnasse au sortir d'Aslevjal...! se consume toujours d'un amour inconditionnel et non réciproque pour son Catalyseur, Fitz rêve lui aussi d'un quotidien paisible et partagé avec le Fou. Aussi, lorsque ce dernier lui annonce qu'il a l'intention de couper les ponts définitivement, il en reste sonné. Nous voilà arrivés aux pages les plus profondes et les plus émouvantes des "Adieux et retrouvailles", où le sage bouffon nous expose avec une logique implacable qu'on peut quitter quelqu'un par amour sans pour autant se contredire. En effet, il sait très bien qu'il est censé être mort et que de sa mort devait découler le bonheur de Fitz ; donc il décide de s'éloigner de lui pour éviter de parasiter son existence à venir. En filigrane, on comprend aussi qu'il essaie de se protéger : voir son Catalyseur se reconstruire une vie sentimentale sans pouvoir y prendre part serait néfaste à leur amitié. Il préfère clore leur relation par un poème d'adieu et une pierre de mémoire contenant leurs meilleurs souvenirs : quelle classe, ce Fou... 


La meilleure idée de Robin Hobb : les piliers de pierre permettant de passer d'une région du monde à un autre...
J'ai essayé de m'appuyer sur un arrêt de Médi@bus mais je ne me suis pas retrouvée de l'autre côté d'Aulnay pour autant.
Tant pis !
Et vive le Médi@bus ! 

Non ! Non, pas ça !  

Oui, parlons-en, de la vie sentimentale du héros ! Je vais peut-être passer pour une rabat-joie, mais je trouve que Robin Hobb a un peu trop tendance à jouer aux Lego sur la fin de ses romans ! Vas-y que je tue Burrich, histoire de libérer Molly : Fitz n'a plus qu'à faire ami-ami avec les fils aînés et à toquer à la porte de son premier amour, qui résiste deux minutes pour la forme avant de lui ouvrir son lit. Lui aussi fera son examen de conscience en trois phrases avant de s'immiscer, l'air de rien, dans une famille endeuillée. Cette reconstitution capillotractée des amoureux d'il y a quinze ans aura eu le mérite d'être totalement imprévisible... A la fin de l'Assassin Royal, Fitz a tout ce à quoi il aspirait dans sa jeunesse : la tranquillité, l'aisance, plein d'enfants... Il fait partie du clan d'art avec sa fille Ortie et à récupéré sa femme. Pourtant, la présence de son meilleur ami à ses côtés lui fait défaut.  

La palme du couple à la con revient à Molly et Fitz !
Eh ben, faire le bonhomme pendant treize tomes pour finir comme ça... C'est pas joli joli ! 

On n'en doutait pas une seconde : l'Assassin Royal se termine en beauté, après un feu d'artifice d'émotions... sans mièvrerie, cependant. A l'exception, peut-être, de la niaiserie de Fitz face à Molly alors que Burrich n'est pas encore froid. Enfin si ! vu qu'il a traversé un glacier sur une civière avant de mourir, mais bon... on se comprend ! Comme il reste encore ! des questions sans réponses, que les personnages principaux continuent d'entendre des voix, et que les deux dragons passent leur vie à niquer, lançons-nous à l'attaque des Cités des Anciens ! 


Edition utilisée ici : 
ROBIN HOBB. L'Assassin Royal 13 - "Adieux et retrouvailles". Trad. A. Moustier-Lompré. Editions J'ai Lu, 2007. 380 p. ISBN 978-2-290-00296-4

Illustration couverture : Vincent Madras