mercredi 20 août 2014

Bakuman T.1 - Tsugumi Ohba ; Takeshi Obata (2008)


L'autre jour, je suis allée voir le film Les Enfants loups, Ame et Yuki (Mamoru Hosoda) avec des potes que je ne connaissais que de manière virtuelle. Non seulement, cette projection en plein air au Parc de la Villette à Paris fut un moment fort sympathique, mais en plus, elle m'a donné envie de me remettre un peu aux manga. Du coup, j'ai mangé le premier volume de la série Bakuman créee par Tsugumi Ohba et Takeshi Obata, les auteurs des fameux Death Note ; il traînait chez moi depuis un moment, puisque je l'avais commandé en même temps que les Drôles de racailles adulés par les gosses, histoire de penser un peu à ma gueule, pour changer. Bien m'en a pris.   


L'histoire 

Mashiro n'est pas une tête brûlée ; il est fermement convaincu qu'on réussit sa vie en décrochant un travail propre à s'assurer une existence confortable et ordinaire au possible. A l'âge où ses copains de collège rêvent leur vie d'adulte sans se soucier du chemin à parcourir jusque là, lui n'est pas très pressé d'y parvenir, et pour cause : il est déjà blasé et le grain de folie qu'il a peut-être eu dans ses jeunes années s'est éteint. Alors, bien sûr, Mashiro est doué pour le dessin et peut même se vanter d'avoir remporté des prix pour ses oeuvres, à l'école primaire. Bien sûr, il continue à gribouiller des personnages dans la marge de son cahier, pendant les cours. Mais de là à cultiver son art pour en faire son métier, plus tard... Puisque les rêves sont voués à rester des rêves, pourquoi faudrait-il s'y accrocher ?




Pas du tout tête brûlée mais un peu tête en l'air, Mashiro oublie son cahier de maths au collège, un soir, et évidement il ne s'en aperçoit qu'en rentrant chez lui. Il part aussitôt le récupérer dans la salle de cours et le trouve non pas sur sa table, mais dans les mains de Takagi, LA tronche de la classe. Ce dernier reconnaît avoir feuilleté le cahier oublié et le complimente sur ses qualités de dessinateur. La situation le gêne quelque peu car les deux garçons ne s'adressent pas spécialement la parole et de plus, Mashiro a tiré le portrait d'Azuki, la fille avec qui il voudrait bien sortir. Mais Takagi le met à l'aise, car il a un deal à lui proposer : former à eux deux un binome de mangaka, en tirant profit de leurs points forts respectifs. Il écrira le scénario tandis que son équipier dessinera.  




Tout d'abord, Mashiro refuse en bloc. Il sait à quel point la vie d'artiste peut être cruelle, lui qui a un oncle mangaka ; ou plutôt avait, car le pauvre homme est mort de surmenage avant de terminer son oeuvre et après avoir traversé des années de solitude laborieuses pour bien peu de reconnaissance. Contrairement à Takagi, il a une connaissance lucide et désenchantée du monde de l'édition. Mais petit à petit, il se laisse séduire par l'optimisme et la motivation du premier de la classe...


Rêves, destin, sagesse parentale : qui croire ? 

Je ne vois pas quel lecteur pourrait échapper complètement au processus d'identification qui s'opère lorsque Mashiro nous promène par la pensée dans son univers de collégien ; quand on a 14 ans, penser à son avenir est tellement angoissant qu'on réagit comme on peut : on stresse et on travaille pour intégrer les meilleures formations professionnelles, de peur de finir sous les ponts, ou pire, à la charge de ses parents _n'oublions pas qu'on est au Japon. On s'accroche à ses talents et on croit dur comme fer qu'ils modèleront notre vie. Ou alors on s'en fout, parce qu'au fond, on a trop peur quand on y pense. Bakuman traite bien la question, en nous présentant trois personnages qui portent des regards différents sur leur futur : Mashiro, Takagi et Azuki. 

Comme on l'a vu plus haut, Moritaka Mashiro veut se couler dans le moule bien confortablement : l'avenir, c'est loin, c'est compliqué et ça ressemble de loin à une interminable succession de problèmes. Alors autant sauver ce qui peut l'être, et travailler assez dur pour avoir un bon boulot sans trop se faire remarquer. Ainsi, ses parents seront contents _une souffrance de moins pour eux aussi ! Vous l'aurez compris, ce n'est pas un optimiste, mais plutôt le genre de garçon à se dire "si je ne fais rien, au moins, je suis sûr de ne pas me vautrer". Il faut dire que la mort de son oncle Nobu l'a bien traumatisé ; aussi, maintenant, le manga se résume en un pourcentage : 0,01 %. C'est la proportion des dessinateurs qui parviennent à vivre de leurs créations. Pourtant, il semblerait que Mashiro soit poussé par le destin à suivre les pas de Nobu : le cahier oublié, le fait que Takagi le trouve, son attirance silencieuse pour Azuki faisant écho à la prude correspondance échangée entre Nobu et sa non-copine pendant des années... Sans compter le soutien inattendu de son père et de son grand-père, venant couvrir à deux contre un les conseils plus sages de la mère.

Tu sens ma joie de vivre ?

Takagi est un vrai catalyseur ; des premières aux dernières pages, le grand blond volubile et facétieux crève les vignettes, explose les bulles, brise en mille morceaux l'image qu'on se fait de la tronche de la classe. On peut le percevoir comme une sorte d'ange gardien qui pousse Mashiro à se dépasser, à écouter ses envies et à croire en lui. Sa réussite scolaire, qu'il doit plus à son potentiel qu'au travail qu'il fournit, lui donne la confiance dont il a besoin et, maintenant qu'il a trouvé un copain capable de combler ses lacunes en dessin, il est sûr de son succès en tant que scénariste de manga : "L'échec n'est pas une option".  

BG !!

Azuki est une fille. Ca change tout à la donne. Takagi sous-entend que son ambition de doubler des animes est une forme d'échappatoire à la triste condition des filles, sur laquelle on va revenir. Pour l'instant, simplement en prenant en compte ce qui nous est dit d'elle dans ce premier volume, il semblerait que la jeune fille cache bien son jeu. Si sa timidité l'empêche de sortir de chez elle, à part pour se rendre au cours de danse ou au collège, elle n'en a pas moins un caractère bien trempé et sait poser fermement ses conditions aux projets que Mashiro et Takagi lui présentent.  

Et voici une fois de plus l'incontournable de tout manga qui se respecte :
LA BONNASSE !!!!!!!!!!!
(Azuki)

Ces filles qui ne rêvent pas   

La faille de Bakuman se situe peut-être ici. Il me semble que les quelques personnages féminins mis en scène n'ont pas la part belle, bien au contraire. C'est mon impression, à vous de voir. Examinons une par une les concernées.

- Azuki : c'est une bonne élève, la deuxième après Takagi. Mashiro l'aime car elle est belle, calme et timide, mais on notera qu'il croit assez peu en elle quand il découvre qu'elle veut devenir doubleuse de dessins-animés : "Quoi ?! Doubleuse ?! Que... Mais... Elle n'a aucune chance d'y arriver ! Discrète et timide comme elle est.. Rêver, c'est bien, mais il faut un peu de réalisme aussi !". C'est beau l'amour.

- La mère d'Azuki : elle est belle, avenante accueillante, très bavarde, et disons-le, elle fait un peu cruche quand même.

Elle se fait des bigoudis, parce que c'est son choix.

- La mère de Mashiro : à vue de nez, c'est une harpie qui passe son temps à appeler son fils sur son portable pour lui gueuler dans les esgourdes de rentrer à la maison bosser ses cours. Elle est bien la preuve que bien souvent, la parole ne remplace pas l'action, en l'occurrence, la décision du grand-père de remettre les clés de l'atelier de Nobu à Mashiro. Enfin, lorsqu'elle tente de dissuader son mari d'encourager les projets artistiques de son fils, il la balaye d'un terrible "Les hommes ont tous des rêves. Les femmes ne peuvent pas comprendre." que chacun appréciera à sa valeur, et qui me reste sur le gésier, personnellement.


La mère de Mashiro étant passablement moche, je vous mets une image du Père Castor à la place.
En toute innocence. 


Bakuman, un manga misogyne, ou un manga dénonciateur ? Difficile de savoir où commence l'humour, et ou finit la critique de la société. La suite nous le dira...


Mangaka, mode d'emploi    

Bakuman en intéressera plus d'un grâce aux nombreuses informations techniques qu'il donne sur les pratiques artistiques des créateurs de manga. Les connaisseurs n'y apprendront sans doute rien de bien nouveau, mais tous les autres y trouveront de quoi s'instruire : nemus, plume Kabura, plume G, plume ronde, pose des trames, catalogues d'arrière-plans... Tout comme Takagi, charrié par Mashiro pour son peu de connaissances en dessin, j'ai fait des découvertes. De plus, à la manière d'ancrer l'histoire dans la réalité du monde de l'édition, on discerne le vécu _et les embûches_ sans doute connus par les auteurs.


Les bonnes critiques récoltées par Bakuman ne sont pas volées : l'idée est originale, l'histoire est réaliste sans vous plomber l'ambiance, les héros sont drôles sans être lourds. Seul le traitement des personnages féminins me déplaît pour l'instant, mais ça ne m'empêchera pas de lire la suite ! 



OHBA, Tsugumi ; OBATA, Takeshi. Bakuman (tome 1). Kana, 2010. 208 p. ISBN 978-2-5050-0826-2





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