vendredi 22 août 2014

Larme de Rasoir : Des fleurs pour Algernon - Daniel Keyes (1966)


Phobiques des insectes, attention : un cafard s'est glissé dans cet article ! 


Un jour, en écoutant la joyeuse bande d'Homomicro, j'ai entendu parler de ce roman de science-fiction écrit par Daniel Keyes dans les années 60. Le chroniqueur _ sans doute Eric Garnier, je ne sais plus..._ nous l'a présenté comme un classique du genre.

Charlie Gordon, un jeune handicapé mental, mène une existence sans joie ni peine ni sens, entre son emploi d'homme à tout faire dans une boulangerie et son pénible apprentissage de la lecture à l'école des adultes attardés. Sa bonté d'âme et la volonté d'être "plus intelligent" qu'il manifeste lors des cours de Miss Kinnian l'amènent à être sélectionnés par deux psychiatres pour mener une expérience à risques : permettre de faire grimper le Q.I d'un "arriéré" par le biais d'une intervention chirurgicale.

Alice Kinnian émet des réserves, mais le Dr Strauss et le Professeur Nemur lui assurent que l'opération ne présent aucun risque, puisqu'ils ont déjà testé leurs hypothèses sur une souris et que c'est une vraie réussite : Algernon _ladite souris_ a largement dépassé les capacités mentales de n'importe quel rongeur de son espèce, et parvient à se dépêtrer à une vitesse folle de labyrinthes toujours plus complexes. Du reste, elle se porte bien.



Charlie est surexcité à l'idée d'être enfin "normal" ; il ne sait pas en quoi ça consiste, mais il sait qu'être "intelligent", c'est bien. Vivement que son hospitalisation se termine, et qu'il puisse retourner laver les chiottes de la boulangerie et rire avec Frank et Joe, ses collègues-amis. En attendant, il suit à la lettre les consignes du Dr Strauss : consigner dans un carnet tout ce qui lui passe par la tête, afin qu'on puisse évaluer sa progression mentale au fil des textes.

Voilà pourquoi Des fleurs pour Algernon se présente sous la forme d'un journal de bord tenu quasi quotidiennement par le héros.




Effectivement, tout se passe bien ; à son réveil, c'est une nouvelle vie qui commence pour Charlie, même s'il ne s'en rend pas compte tout de suite. Le brouillard se lève sur le monde qui l'entoure, dévoilant une ville dont il ne soupçonnait pas l'existence, des hommes dont il ne mesurait pas les multiples facettes et la cruauté. Les souvenirs reviennent, comme des coups de massue sur l'"idiot" qu'il était. Pour son bonheur _et son malheur, il comprend tout, enfin.


Attention spoiler !
N'allez pas plus loin si vous voulez lire ce livre. 

(Mais sinon, vous pouvez.)





Charlie, Charlie et Algernon 
 
Au fur et à mesure que ses capacités augmentent, Charlie Gordon prend conscience de son humanité et découvre des sentiments qu'il n'avait jamais éprouvés : la joie, la curiosité, l'amour, mais aussi la honte et la colère.

Il ressent la joie d'être enfin ce que sa famille a toujours voulu qu'il soit, avant de l'abandonner et de le faire passer pour mort : un garçon aux facultés mentales normales.

La curiosité d'apprendre, forcément insatiable, mais aussi incontrôlable ; Charlie doit composer avec deux difficultés, puisqu'il doit d'une part rattraper son retard par la culture, et d'autre part canaliser un cerveau dont les capacités ne cessent d'augmenter. Il devient "une éponge" à savoir, apprend plusieurs langues en quelques jours, et ne conçoit pas que tout le monde ne puisse en faire de même. Mais l'homme n'aime pas se sentir inférieur : complexés, ses collègues s'écartent de lui car il est trop intelligent pour eux et il finit par se faire jeter de la boulangerie. Tout porte à croire que Charlie Gordon est fait pour vivre dans l'isolement, quel qu'il soit.

Même Alice Kinnian ne se risque pas à sortir avec lui : elle se sent tellement bête à côté de lui ! Pourtant, il sait qu'il l'aime, et qu'elle pourrait céder à la tentation ; mais il se révèle incapable de la baiser, à cause d'un blocage causé par les maltraitances d'une mère tyrannique.

Tout comme sa mère, Charlie a honte de Charlie, l'ancien Charlie ; où qu'il aille, quoi qu'il fasse, l'hallucination de Charlie l'idiot bienheureux le scrute de ses yeux ahuris. Au fil de ses comptes-rendus, le jeune homme note ses souvenirs d'enfance en parlant de lui-même à la troisième personne, comme s'il rêvait le passé d'un autre. Il ne comprend pas que ce gamin qui se chiait dessus de peur que sa mère le fouette, sachant qu'elle le fouettait systématiquement quand il se chiait dessus (ouais, c'est le serpent qui se mord la queue) ait pu être lui, un jour. Chacun de ses comportements saugrenus le couvre de gêne à présent ; il aimerait se débarrasser de cet "attardé" qu'il n'est plus, et dont il serait capable de se moquer lui-même. Le seul moyen qu'il a d'y échapper, c'est de s'en distinguer sciemment clairement via ses écrits.

La moquerie, il l'a vécue durant des années sans en souffrir, puisqu'il ne la percevait pas. "N'était-ce pas mieux ainsi ?" se dira plus tard l'homme devenu "un télijan". Lorsqu'il réalise enfin que ses amis Frank et Joe, ont passé des années à lui jouer des sales tours et à rire sur son dos, la colère le saisit enfin, sans qu'il puisse rien en faire : il lui manque l'expérience et la prise d'initiative, qui ne s'apprennent ni dans les livres, ni pendant les séances de psychothérapie.

En effet, Charlie Gordon demeure un simple cobaye pour ses médecins, au même titre que la souris Algernon. Il se prend d'ailleurs rapidement d'affection pour elle, en se disant que la destinée les a rapproche un peu. Mais il sait aussi que l'avenir d'Algernon en dira beaucoup sur le sien, étant donné qu'ils ont subi le même traitement : si un jour elle décline et meurt, il ne pourra plus donner cher de sa propre peau. L'homme revendiquera inlassablement sont statut d'humain dans l'expérimentation. Après ET avant l'opération. Il ne sera pas vraiment entendu, mais plutôt exhorté à la gratitude envers ceux qui l'ont "sauvé" de son engourdissement mental.

Chacun ses références souristiques !
 (Minus et Cortex)
C'est quand même autre chose que Hermux Tantamoq !


Perturbant 

Présenté comme une oeuvre majeure de la S.F, Des fleurs pour Algernon est particulièrement accessible à ceux qui en lisent peu. Hormis les indications scientifiques données par Charlie au sujet de l'intervention qu'il a suivie, et des effets positifs et négatifs qui en résultent, on n'est pas noyés dans le jargon médical. J'avoue avoir eu une crainte à ce sujet. Les connaissances de l'auteur en psychologie sont par contre bien visibles, et on devine à travers la peinture du héros une bonne connaissance des "simples d'esprit", comme on se plaisait à les appeler, avant. J'avais aussi peur de lire une suite de d'idées reçues agglomérées en un même personnage, mais pas du tout. Mais ce roman de Daniel Keyes (mort en 2014) est avant tout une réflexion sur la difficulté des rapports humains, sans cesse déterminés par la facilité qu'on a _ou pas_ à rentrer dans les clous.


Des fleurs pour Algernon est largement pressenti pour gagner le trophée du Cafard de Plomb spécial Rentrée Scolaire Pluvieuse, et peut-être même, qui sait ! Le prozac d'or !






Même si certaines incohérences dans la rapidité d'évolution de Charlie font qu'on a bien conscience de lire de la fiction, ce récit est bouleversant, voire perturbant. L'histoire vaut le détour, mais pas si vous êtes dans une période de déprime, car elle pourrait bien vous achever !





KEYES, Daniel. Des fleurs pour Algernon. Trad. de l'anglais par Georges H. Gallet. Editions J'ai lu. 2002. Coll."Science Fiction". 252 p. ISBN 2-290-31295-9







mercredi 20 août 2014

Bakuman T.1 - Tsugumi Ohba ; Takeshi Obata (2008)


L'autre jour, je suis allée voir le film Les Enfants loups, Ame et Yuki (Mamoru Hosoda) avec des potes que je ne connaissais que de manière virtuelle. Non seulement, cette projection en plein air au Parc de la Villette à Paris fut un moment fort sympathique, mais en plus, elle m'a donné envie de me remettre un peu aux manga. Du coup, j'ai mangé le premier volume de la série Bakuman créee par Tsugumi Ohba et Takeshi Obata, les auteurs des fameux Death Note ; il traînait chez moi depuis un moment, puisque je l'avais commandé en même temps que les Drôles de racailles adulés par les gosses, histoire de penser un peu à ma gueule, pour changer. Bien m'en a pris.   


L'histoire 

Mashiro n'est pas une tête brûlée ; il est fermement convaincu qu'on réussit sa vie en décrochant un travail propre à s'assurer une existence confortable et ordinaire au possible. A l'âge où ses copains de collège rêvent leur vie d'adulte sans se soucier du chemin à parcourir jusque là, lui n'est pas très pressé d'y parvenir, et pour cause : il est déjà blasé et le grain de folie qu'il a peut-être eu dans ses jeunes années s'est éteint. Alors, bien sûr, Mashiro est doué pour le dessin et peut même se vanter d'avoir remporté des prix pour ses oeuvres, à l'école primaire. Bien sûr, il continue à gribouiller des personnages dans la marge de son cahier, pendant les cours. Mais de là à cultiver son art pour en faire son métier, plus tard... Puisque les rêves sont voués à rester des rêves, pourquoi faudrait-il s'y accrocher ?




Pas du tout tête brûlée mais un peu tête en l'air, Mashiro oublie son cahier de maths au collège, un soir, et évidement il ne s'en aperçoit qu'en rentrant chez lui. Il part aussitôt le récupérer dans la salle de cours et le trouve non pas sur sa table, mais dans les mains de Takagi, LA tronche de la classe. Ce dernier reconnaît avoir feuilleté le cahier oublié et le complimente sur ses qualités de dessinateur. La situation le gêne quelque peu car les deux garçons ne s'adressent pas spécialement la parole et de plus, Mashiro a tiré le portrait d'Azuki, la fille avec qui il voudrait bien sortir. Mais Takagi le met à l'aise, car il a un deal à lui proposer : former à eux deux un binome de mangaka, en tirant profit de leurs points forts respectifs. Il écrira le scénario tandis que son équipier dessinera.  




Tout d'abord, Mashiro refuse en bloc. Il sait à quel point la vie d'artiste peut être cruelle, lui qui a un oncle mangaka ; ou plutôt avait, car le pauvre homme est mort de surmenage avant de terminer son oeuvre et après avoir traversé des années de solitude laborieuses pour bien peu de reconnaissance. Contrairement à Takagi, il a une connaissance lucide et désenchantée du monde de l'édition. Mais petit à petit, il se laisse séduire par l'optimisme et la motivation du premier de la classe...


Rêves, destin, sagesse parentale : qui croire ? 

Je ne vois pas quel lecteur pourrait échapper complètement au processus d'identification qui s'opère lorsque Mashiro nous promène par la pensée dans son univers de collégien ; quand on a 14 ans, penser à son avenir est tellement angoissant qu'on réagit comme on peut : on stresse et on travaille pour intégrer les meilleures formations professionnelles, de peur de finir sous les ponts, ou pire, à la charge de ses parents _n'oublions pas qu'on est au Japon. On s'accroche à ses talents et on croit dur comme fer qu'ils modèleront notre vie. Ou alors on s'en fout, parce qu'au fond, on a trop peur quand on y pense. Bakuman traite bien la question, en nous présentant trois personnages qui portent des regards différents sur leur futur : Mashiro, Takagi et Azuki. 

Comme on l'a vu plus haut, Moritaka Mashiro veut se couler dans le moule bien confortablement : l'avenir, c'est loin, c'est compliqué et ça ressemble de loin à une interminable succession de problèmes. Alors autant sauver ce qui peut l'être, et travailler assez dur pour avoir un bon boulot sans trop se faire remarquer. Ainsi, ses parents seront contents _une souffrance de moins pour eux aussi ! Vous l'aurez compris, ce n'est pas un optimiste, mais plutôt le genre de garçon à se dire "si je ne fais rien, au moins, je suis sûr de ne pas me vautrer". Il faut dire que la mort de son oncle Nobu l'a bien traumatisé ; aussi, maintenant, le manga se résume en un pourcentage : 0,01 %. C'est la proportion des dessinateurs qui parviennent à vivre de leurs créations. Pourtant, il semblerait que Mashiro soit poussé par le destin à suivre les pas de Nobu : le cahier oublié, le fait que Takagi le trouve, son attirance silencieuse pour Azuki faisant écho à la prude correspondance échangée entre Nobu et sa non-copine pendant des années... Sans compter le soutien inattendu de son père et de son grand-père, venant couvrir à deux contre un les conseils plus sages de la mère.

Tu sens ma joie de vivre ?

Takagi est un vrai catalyseur ; des premières aux dernières pages, le grand blond volubile et facétieux crève les vignettes, explose les bulles, brise en mille morceaux l'image qu'on se fait de la tronche de la classe. On peut le percevoir comme une sorte d'ange gardien qui pousse Mashiro à se dépasser, à écouter ses envies et à croire en lui. Sa réussite scolaire, qu'il doit plus à son potentiel qu'au travail qu'il fournit, lui donne la confiance dont il a besoin et, maintenant qu'il a trouvé un copain capable de combler ses lacunes en dessin, il est sûr de son succès en tant que scénariste de manga : "L'échec n'est pas une option".  

BG !!

Azuki est une fille. Ca change tout à la donne. Takagi sous-entend que son ambition de doubler des animes est une forme d'échappatoire à la triste condition des filles, sur laquelle on va revenir. Pour l'instant, simplement en prenant en compte ce qui nous est dit d'elle dans ce premier volume, il semblerait que la jeune fille cache bien son jeu. Si sa timidité l'empêche de sortir de chez elle, à part pour se rendre au cours de danse ou au collège, elle n'en a pas moins un caractère bien trempé et sait poser fermement ses conditions aux projets que Mashiro et Takagi lui présentent.  

Et voici une fois de plus l'incontournable de tout manga qui se respecte :
LA BONNASSE !!!!!!!!!!!
(Azuki)

Ces filles qui ne rêvent pas   

La faille de Bakuman se situe peut-être ici. Il me semble que les quelques personnages féminins mis en scène n'ont pas la part belle, bien au contraire. C'est mon impression, à vous de voir. Examinons une par une les concernées.

- Azuki : c'est une bonne élève, la deuxième après Takagi. Mashiro l'aime car elle est belle, calme et timide, mais on notera qu'il croit assez peu en elle quand il découvre qu'elle veut devenir doubleuse de dessins-animés : "Quoi ?! Doubleuse ?! Que... Mais... Elle n'a aucune chance d'y arriver ! Discrète et timide comme elle est.. Rêver, c'est bien, mais il faut un peu de réalisme aussi !". C'est beau l'amour.

- La mère d'Azuki : elle est belle, avenante accueillante, très bavarde, et disons-le, elle fait un peu cruche quand même.

Elle se fait des bigoudis, parce que c'est son choix.

- La mère de Mashiro : à vue de nez, c'est une harpie qui passe son temps à appeler son fils sur son portable pour lui gueuler dans les esgourdes de rentrer à la maison bosser ses cours. Elle est bien la preuve que bien souvent, la parole ne remplace pas l'action, en l'occurrence, la décision du grand-père de remettre les clés de l'atelier de Nobu à Mashiro. Enfin, lorsqu'elle tente de dissuader son mari d'encourager les projets artistiques de son fils, il la balaye d'un terrible "Les hommes ont tous des rêves. Les femmes ne peuvent pas comprendre." que chacun appréciera à sa valeur, et qui me reste sur le gésier, personnellement.


La mère de Mashiro étant passablement moche, je vous mets une image du Père Castor à la place.
En toute innocence. 


Bakuman, un manga misogyne, ou un manga dénonciateur ? Difficile de savoir où commence l'humour, et ou finit la critique de la société. La suite nous le dira...


Mangaka, mode d'emploi    

Bakuman en intéressera plus d'un grâce aux nombreuses informations techniques qu'il donne sur les pratiques artistiques des créateurs de manga. Les connaisseurs n'y apprendront sans doute rien de bien nouveau, mais tous les autres y trouveront de quoi s'instruire : nemus, plume Kabura, plume G, plume ronde, pose des trames, catalogues d'arrière-plans... Tout comme Takagi, charrié par Mashiro pour son peu de connaissances en dessin, j'ai fait des découvertes. De plus, à la manière d'ancrer l'histoire dans la réalité du monde de l'édition, on discerne le vécu _et les embûches_ sans doute connus par les auteurs.


Les bonnes critiques récoltées par Bakuman ne sont pas volées : l'idée est originale, l'histoire est réaliste sans vous plomber l'ambiance, les héros sont drôles sans être lourds. Seul le traitement des personnages féminins me déplaît pour l'instant, mais ça ne m'empêchera pas de lire la suite ! 



OHBA, Tsugumi ; OBATA, Takeshi. Bakuman (tome 1). Kana, 2010. 208 p. ISBN 978-2-5050-0826-2





vendredi 8 août 2014

Quand la jolie cliente ne revient pas : Hermux Tantamoq Tome 1 : "Le temps ne s'arrête pas pour les souris" - Michael Hoeye (2002)

Avant de partir en vacances, je me suis mis de côté quelques romans pour enfants disponibles au CDI : comme chacun sait, lire des histoires farfelues écrites en gros caractères rend les voyages en train moins fastidieux. Et l'air de rien, la SNCF nous permet parfois de faire des découvertes sympathiques :

Hermux Tantamoq tome 1 "Le temps ne s'arrête pas pour les souris"
Michael Hoeye.
L'histoire 

Bienvenue dans un monde parallèle, celui des souris ! Hermux Tantamoq est horloger dans la petite ville de Pinchester. Aimé de tous et pourtant solitaire, il vit dans un appartement modeste mais confortable en compagnie de Terfèle, sa coccinelle apprivoisée. Son travail le passionne et le déroulement de ses journées est  _on s'en doute, réglé comme une montre : réveil, boulot, petit-déjeuner à 10h avec beignets au café de Lanayda, boulot, retour à la maison, prise de bec avec une voisine chiante particulière, goûter de copeaux de fromage en lisant Couine Hebdo et repos jusqu'au lendemain. Il aurait pu en être ainsi pendant des années, jusqu'à ce qu'un grain de sable vienne se loger dans le mécanisme bien huilé.

Ce grain de sable s'appelle Linka Perflinker : c'est une souris aviatrice. Elle se présente à la boutique d'Hermux pour faire réparer une montre abîmée, et même si son passage est très rapide, elle reste assez longtemps pour taper dans l’œil de l'horloger. Ce dernier se défonce pour redonner vie et éclat à l'objet passablement esquinté, afin qu'il soit fonctionnel pour le lendemain à midi ; mais quand arrive l'heure convenue pas de Mlle Perflinker à l'horizon. Ni l'après-midi. Ni les jours suivants. Tantamoq est à la fois surpris et dépité : il n'aurait jamais cru qu'une telle souris lui poserait un lapin.

A quelques temps de là, un grand rat aussi gracieux qu'un unicellulaire marin et pas plus agréable qu'un bordelais un jour de pluie déboule dans le magasin. Il demande à Hermux de bien vouloir lui remettre la fameuse montre, ce qu'il refuse. Contraint de vider les lieux, le rat s'en va bredouille tout en proférant des menaces ; intrigué, l'horloger ferme le magasin et le suit discrètement : il est impossible qu'une souris aussi classe que Linka Perflinker soit copine avec une grognasse pareille ! Où va-t-il l'emmener ? Quelles drôles de découvertes va-t-il faire ? Difficile d'en dire plus sans dévoiler toute l'histoire, mais sachez seulement qu'il a bien raison de s'inquiéter !

A partir de ce moment-là, la souris tranquille se mue bien malgré elle en détective privé. Car vous l'aurez compris, Hermux n'est pas Mickey Mouse ! Mener l'enquête les quatre pattes dans le sang a de quoi mettre sens dessus-dessous son petit bidon rempli de copeaux de fromage ! Pourtant, stimulé par son coup de coeur _et par la curiosité, il va tenter de se frayer un chemin vers la vérité : s'il parvient à libérer Linka, elle sera à coup sûr impressionnée, et qui sait, il pourra peut-être se la faire trouver en elle une nouvelle amie !



Chez les souris 

Comme le dit si bien Michael Hoeye, "le temps ne s'arrête pas pour les souris". On notera au passage qu'il ne s'arrête pas non plus pour les autres. En lisant le premier tome des aventures d'Hermux Tantamoq, chacun appréciera les spécificités de ce fantastique monde de rongeurs finement construit par le romancier :

  • Les gens ont des noms bizarres chez les souris ! 

L'auteur s'est bien éclaté : "Hermux Tantamoq", "Linka Perflinker", "Pup Schounagliffen", "Tucka Mertslinn"... Seul "Hiril Mennus", LE méchant, a un nom facilement prononçable !



  • Pas de fachos chez les souris ! 

En parcourant les premières pages, je me suis crue dans Souris souris, ce dessin animé quelque peu soporifique qui passait sur France 3 tous les matins, dans les années 1990. A travers de courts épisodes, on suivait les tribulations de deux gentilles souris chargées de récolter les dents de lait des petits humains au péril de leur vie. Et ce, dans le seul but de satisfaire les caprices architecturaux d'une vieille reine tyrannique ! C'était doux, c'était mignon, c'était une autre vision de l'esclavage. Mais si, vous connaissez, c'est obligé !


Du coup, j'ai été rassurée de voir que cette société comptait également d'autres bestioles sympathiques telles que les rats, les taupes et les écureuils de terre. Les coccinelles sont au demeurant réduites à l'état d'animaux domestiques et les serpents, des bêtes féroces à éviter. Tout ce petit monde cohabite plutôt bien, même si Michael Hoeye profite astucieusement de la situation pour faire passer un message de lutte contre le racisme. J'ai noté trois ou quatre situations de quiproquo dans lesquels Hermux essaie de ménager les susceptibilités après avoir commis une boulette.

Conversation téléphonique entre Hermux et un policier
" _ Mais je suis persuadé qu'elle est dans un fichu pétrin. Elle est partie avec trois rats très sournois.
_ Surveillez vos paroles, monsieur Tantamoq. Je suis un rat moi-même, et fier de l'être. Pas d'insultes, je vous prie. 
_ Je ne disais pas cela parce que ce sont des rats. Mais ce n'étaient pas des rats très gentils."

Il me semble que cette manière d'aborder la question des idées reçues des uns et des autres est bien trouvée.


  • Chez les souris, les poulets ne sont pas très efficaces ! 


L'extrait sus-cité m'amène à un constat : il semblerait que Hoeye ait un souci avec la police : les flics de Pinchester sont tout bonnement des rongeurs qui ne veulent se mêler de rien tant que le sang n'est pas venu éclabousser leurs godasses, et qui prennent la mouche facilement. Mais bon, ce sont juste ceux de Pinchester, hein, on est d'accord !!





  • Il y a de beaux fdp traîtres chez les souris !


Pour les souris comme pour le reste de l'Univers, il vaut mieux avoir affaire à un vrai méchant qu'à un faux gentil : lisez bien le livre jusqu'au bout ! Bien sûr, Hermux Tantamoq : le temps ne s'arrête pas pour les souris met en scène des méchants aux défauts bien typés, tels que Turka, la souris insipide de condescendance qui refuse le vieillissement, ou Mennus, le savant fou. Les gentils sont aussi bien braves à tous les niveaux. Malgré tout, le traître est bien là, assis dans l'ombre (hihi, pardon, vraiment). On croit avoir cerné tout le monde ? Eh bien non !

Hermux Tantamoq est un joli roman bien écrit, comme on les aime. Nous. Les adultes. Avant de le lire, je me demandais pourquoi cet exemplaire était aussi rarement sorti du collège (trois fois, pour être précis). Il est épais, certes, pas mais énorme non plus. Quant à la couverture, rien à dire : elle donne envie, y compris aux mecs _ qui ont tendance à croire que les romans, c'est pour les filles. Pourtant, ça ne fonctionne pas.

Pour l'instant, je formulerais deux hypothèses :

_ Les élèves de mon bahut ne sont demandeurs ni d'heroic fantasy, ni de magie, ni d'animaux qui parlent. Ils veulent du réel, du gore qui fait peur, de la baston, du shit, et si possible, du vrai sang sur les pages. Le must étant encore le shit entre les pages _ c'est peut-être la seule condition pour qu'ils adhèrent à une histoire de souris qui parlent. Bref, ce sont des adolescents.
=> Ils sont trop grands pour Hermux.

_ Hermux n'est pas le héros dont on rêve : réparateur de montres, bedonnant, pas vraiment hardi... S'il avance dans ses aventures, c'est au prix de nombreuses boulettes de débutant. Il est évident que Hoeye nous invite à aller au-delà des apparences physiques. Chaque situation vécue par le héros est une réflexion sur les possibilités d'évolution d'une personne, un travail sur les représentations. C'est trop pour eux, ils n'ont pas encore le recul nécessaire pour se dégager de la vision basique et modèle du super-héros, musclé, rapide, très mal fringué, efficace partout. Quoi de plus logique ? pour se construire, il faut bien qu'ils posent leurs fondations sur quelque chose simple. Ensuite viendra le temps de démolir pour reconstruire par-dessus, et c'est là qu'on pourra les aider. Y compris à travers des livres tels que celui-ci. Mais une démarche de médiation sera indispensable, car ils n'iront pas d'eux-même. 
=> Ils sont encore trop petits pour Hermux _oui, même en 3°. 

Tout cela n'engage que moi, bien sûr, même si je n'invente rien !

HOEYE, Michael. Hermux Tantamoq (tome 1) "Le temps ne s'arrête pas pour les souris". Traduit de l'anglais par Mona de Pracontal. Paris : Albin Michel, 2002. 319 p. ISBN : 2-226-12-972-3


mercredi 6 août 2014

Revolution S01X01 "Blackout" - Eric Kripke (2012)


L'existence de cette nouvelle série américaine m'est arrivée aux oreilles alors que j'écoutais l'émission De quoi j'me mail sur RMC*, tout en crachant mes poumons au bord du canal de l'Ourcq. L'un des chroniqueurs de ce rendez-vous hebdomadaire des geeks et autres fans de hi-tech vantait la qualité esthétique de la première saison fraîchement sortie en blu-ray. Il a tellement mieux vendu l'histoire que son coffret de disques que ça m'a donné envie de regarder le début (en streaming). 

Revolution S01X01 "Blackout" - 2012



L'épisode pilote nous présente tout d'abord une famille vivant une soirée ordinaire, de nos jours, aux Etats Unis : la mère et les deux enfants attendant patiemment le retour du père dans la joie et la bonne humeur. Tout à coup, celui-ci débarque dans la maison totalement en panique : c'est évident, il a autre chose en tête que le dîner. On sent que LE drame approche. Lequel, on ne sait pas ; mais on devine que c'est très grave car les deux parents tirent maintenant une tronche de dix mètres de long. Quelques secondes plus tard, une coupure de courant paralyse la maison, mais aussi toute la ville. Et, tant qu'on y est, le reste de l'Univers. Le bébé pleure, le frigo dégèle et un avion s'écrase. 

Quinze ans plus tard, l'électricité n'est toujours pas revenue, et tout le monde semble en avoir fait le deuil. On reconnait rapidement certains personnages de la première scène : Charlie, la fille, Danny, le bébé, Ben, le père. Ils ont troqué leurs smartphones et la télé contre des cabanes en bois et chassent à l'arbalète au milieu des ruines et des carcasses d'avions _autant de vestiges du passé fascinants pour eux. Privés de transports, la société américaine semble s'être réorganisée en multiples tribus vivant de leurs productions agricoles, et surveillées par des flics à cheval terrorisant leur monde avec de grands sabres : LA milice. Le black out énergétique est un tabou, et même si Ben en sait bien plus long que ses voisins, il refuse de dire ce qu'il sait, exactement. 

Malheureusement pour lui, des circonstances fâcheuses vont l'y obliger ; un jour, un représentant de la milice nommé Tom Neville (Giancarlo Esposito) fait irruption dans le village pour le capturer. Il refuse de fuir et se fait descendre ; avant de rendre l'âme, il demande à Charlie de se rendre à Chicago à pattes et au plus vite afin de retrouver son oncle Miles, seul membre de la famille à être dans la confidence. Elle promet, tandis que son petit frère Danny est pris en otage par Neville tel un lot de consolation après l'échec de son assaut. 

Charlie (Tracy Spiridakos), puisque c'est bien elle l'héroïne, se lance alors dans une double quête : retrouver son oncle Miles (Billy Burke) et libérer son frère Danny (Graham Rogers) des griffes de la milice. L'explication de cette mystérieuse panne d'électricité est peut-être à la clé ! Elle sera accompagnée dans sa longue marche par sa belle-mère Rachel et un ... ami ? Aaron (. J'ai pas encore compris qui était, ni ce qu'il foutait là, mais c'est sûrement étudié pour. La suite nous éclairera. En chemin, elle rencontre Nate (Jorge Daniel Pardo), un beau gosse occupé à tirer à l'arc derrière des rochers, normal. Il décide aussitôt de la prendre sous son aile et de se joindre à l'expédition : c'est douteux, non ? Toujours est-il que l'équipe arrive bientôt à Chicago, au milieu des routes défoncées et des immeubles vides...



Pendant ce temps-là, Danny parvient à se libérer avec brio de la charrette à foin qui lui servait de geôle, mais sa fuite est interrompue. Fichues crises d'asthmes ! Le voilà terrassé, face contre terre, pendant que les fleurs de pissenlits volettent autour de lui, l'air faussement innocent : dommage, c'était bien tenté ! 



Sur Internet, on peut lire plein de mauvaises critiques sur cette série "futuriste" et "post-apocalyptique" Revolution. Je me garderai bien d'en rajouter une couche, étant donné que je n'ai vu que le premier épisode. Cela dit, les emprunts à d'autres séries, films ou livres à succès sont aussi visibles que le nez au milieu de la figure et c'est... trop. C'en est presque drôle ! On peut, entre autres, reconnaître : 


  • Lost : pour ses carcasses d'avions dans lesquels les personnages aiment bien fouiner. Pour son univers de bricolage d'objets en bouts de roseaux en ayant une pensée émue pour le confort perdu. Pour Aaron, son personnage aux faux airs de boulet, 


qui font un peu penser à...



  •  Hunger Games : pour Charlie, son héroïne téméraire si proche de Katniss pour son côté "non je ne veux pas qu'on m'aide, merci ça ira, je porte le monde sur mon dos et je le vis très bien. Parce que tous ces mecs serviables qui ne savent pas se battre, ça m'embarrasse plus qu'autre chose". 


Charlie

Katniss



  • Twilight aussi, parce que Nate Walker a l'air de sortir tout droit de la meute d'hommes-loups dirigée par Jacob. 



Ah, Wikipedia me souffle dans l'oreillette que Jorge Daniel Pardo a JUSTEMENT joué dans Twilight 4, où il n'incarnait pas un loup-garou mais un semi-vampire latino portant le nom de Nahuel. Au temps pour moi. 




  • Walking dead _du moins "Passé décomposé", le premier tome de la série BD. Bon, on ne voit pas de cadavres animés dans les 43 premières minutes de Revolution, mais on se caillasse quand même allègrement dans une ville dévastée en prenant garde de ne pas traverser le plancher ! 

Les créateurs de Revolution ont-ils voulu faire une grande soupe de "trucs qui marchent bien" ? Possible ! Mais le manque d'originalité des scénaristes ne serait pas du tout dérangeant si l'ouverture de la saison 1 nous donnait un peu envie d'y croire ; malheureusement, ce n'est pas la cas, faute de personnages attachants et profonds. Charlie et sa belle-mère Rachel sont tout entières à leur quête alors que Ben vient quand même de crever dans leurs bras, Nate Walker est bien prévisible : on sent déjà qu'il va être tiraillé comme un Romeo entre sa nouvelle copine Charlie et son travail pour la milice. Tous vivent dans la fagne depuis une décennie, et pourtant leurs t-shirts sont étonnamment nickels et bien conservés. Dilemme, dilemme. Visuellement, on ne peut pas être déçu par les paysages, les effets spéciaux et les scènes de baston, mais... de nos jours, nous sommes tellement habitués à nous en mettre plein les yeux au cinéma ou à la télé, qu'on n'est plus impressionné par rien...

Enfin, ne soyons pas trop langues de putes, ça reste un premier épisode. A suivre, donc !

Revolution, Saison 1, Episode 1
43 min. 
USA, 2012 
Crée par : Eric Kripke

Lien vers la page de l'émission De quoi j'me mail dont il est question ici, et plus particulièrement l'édition du 25/07.