mercredi 11 septembre 2013

Tistou les pouces verts - Maurice Druon (1957)


Poursuivre l'oeuvre de Joséphine ne sera pas une tâche aisée ! En deux années scolaires, cette prof doc a transformé en système d'information un CDI plus ou moins dépourvu de logiciel documentaire. Aujourd'hui, elle change d'établissement et me laisse en héritage un défi à relever. Il faudra faire les bons choix, prendre les meilleurs décisions et d'afficher un esprit d'initiative... autant de qualités que je n'ai pas pour l'instant, mais on travaille dessus ! 

Tandis qu'elle m'indique l'emplacement de deux ou trois trésors dans les tiroirs de son (mon ?!) bureau, j'aperçois une pile de livres de poche édités il y a fort longtemps et passablement usagés. Pourtant ils ne sont ni cotés, ni tamponnés au nom du collège.

"Qu'est-ce que c'est ? 
_ Des dons ! Ils sont à enregistrer dans BDCI !"

Tiens, embarquons l'un deux, Tistou les pouces verts, histoire de mettre fin à des années de mystère! En effet, bien que l'unique ouvrage pour la jeunesse écrit par Maurice Druon ne soit jamais passée entre mes mains, l'un de ses extraits a fait plusieurs fois l'objet d'une double page dans les très chiants frustrants livres de lecture de CE2, CM1 et CM2. Ce fameux moment où Tistou part en stage chez le jardinier et trempe le pouce dans des pots de fleurs remplis de terreau afin de préparer une place pour la graine. Après quoi des fleurs se mettent à pousser en cinq minutes, à la surprise générale. Le jardinier en déduit que Tistou a les pouces verts, c'est à dire qu'il manifeste un don pour faire croître les plantes à la carte et à volonté, phénomène impressionnant sans plus pour tout gosse non féru des arts de la terre.

Que s'était-il passé avant dans sa life ? Qu'allait-il se passer après ? On n'en sut jamais rien, puisque le conte n'était ni à la bibliothèque municipale du village, ni dans le placard à livres de notre prof de CM1 _ le seul de l'école à nous avoir privé du racontage d'histoire hebdomadaire de Monette, la gentille mamie bibliothécaire à pustule. Le Père Castor en dame, on avait juste envie de se jeter dans ses bras. Mais c'est pas le propos. Pendant des années, Tistou demeura pour nous un simple gosse creusant indéfiniment des trous dans la bouillasse avec ses mains.



Comment fait-il pour tenir sur la feuille ?

L'histoire 

Tistou est un petit garçon de bonne famille gentil et rêveur, bien éloigné des préoccupations des adultes qui l'entourent. Monsieur Père (son père, donc), n'est autre que le patron de la vaste usine d'armes de guerre emblématique : ce statut fait de lui l'homme le plus riche de la petite ville de Mirepoil et le propriétaire de la plus belle maison. Par conséquent, l'avenir de Tistou semble dores et déjà tracé ; mais n'est-ce pas là une idée toute faite qui ne demande qu'à être brisée ? Le chemin vers la succession s'annonce plus périlleux que prévu, d'autant plus que Junior se fait virer de l'école après s'y être régulièrement endormi et s'y être fait qualifier d'enfant "pas comme tout le monde".

Monsieur Père réoriente donc Tistou vers une formation en alternance comprenant stage au jardin, à l'usine, et cours de culture générale avec Monsieur Trounadisse*, son bras droit. Il n'est disposé qu'à valider le module jardinage, comme le montre la scène que je vous ai racontée plus haut. Cette faculté à faire pousser des plantes va se révéler réellement , puisqu'il décide aussitôt de s'en servir pour faire le bien autour de lui : rénover un bidonville et le rendre attractif, soigner les malades, égayer la prison... Au bout de quelques chapitres, on se rend compte que si Tistou rencontre parfois l'échec, c'est à cause de son excès de pureté, et non pas par manque de volonté ou de capacités.


Flower power 

Un enfant aux pouces magiques, un poney qui parle (oui, oui, et il lance aussi des vannes), des fleurs qui rendent tout le monde joyeux, gentil, et qui apportent des solutions aux problèmes... Maurice Druon avait du fumer ou anticiper les douces émanations de la période hippie lorsqu'il écrivit Tistou les pouces verts en 1957. A moins que la composition des Rois Maudits n'ait été quelque peu ravageuse. Néanmoins, c'est un conte rafraîchissant quoique vieillot, forcément. A vrai dire, je supposais une dimension écologique de l'oeuvre, mais les premières pages m'ont tout de suite guidée vers d'autres pistes :

" Les grandes personnes ont, sur toutes choses, des idées toutes faites qui leur servent à parler sans réfléchir. Or les idées toutes faites sont généralement des idées mal faites."

Les fleurs ne sont en fait qu'un outil de mise en valeur du point de vue de Maurice Druon : les enfants sont des âmes pures qui se perdent car elles ne peuvent pas agir. Tistou est un enfant qui a les moyens de bonifier le monde puisqu'il possède un don : faire pousser les plantes n'importe où et n'importe quand. Il met si bien à profit ses belles intentions qu'il est clairement transcendé à la fin de l'histoire : il devient un ange, rien que ça ! Désolée d'avoir raconté la fin, mais la chute n'ajoute pas beaucoup à la richesse de l'oeuvre, je pense.

Tistou ? T'es là ?

Tistou les pouces verts se lit à partir de 9 ans, mais on peut l'aborder en début de collège, me semble-t-il. Même si la langue et le contexte sont ceux d'une autre époque, celle où la littérature pour la jeunesse se voulait exemplaire voire guindée, tous les sujets ne sont pas dépassés, bien au contraire :

-  L'échec scolaire : si Tistou avait suivi le droit chemin et tenu la route à l'école, il n'aurait sans doute jamais pu exprimer son talent. C'est à méditer : qu'est-ce que réussir ? Y a-t-il une voie unique vers le bonheur, le sien et celui des autres ?

- La représentation de la femme. Dans Tistou les pouces verts, on ne compte que trois personnages féminins très secondaires : la mère, belle, douce _et c'est tout, et la fillette malade, faible et Madame Amélie, la cuisinière forte en gueule, maternante, mais relativement peu influente sur l'action.

- Une réflexion sur le personnage de Carolus, un serviteur des Monsieur Père et Madame Mère ; à trois reprises au moins, Maurice Druon évoque le petit accent étranger de cet homme. Pourquoi ? On n'en sait pas grand chose, ou alors je n'ai pas saisi la subtilité de cette caractéristique. Il est par ailleurs très difficile de cerner de quel pays ou de quelle région provient ce fameux accent : "Pas comme ti le monde, Tisti ! Qu'on vienne mi le dire, à mi !" 

Déjà c'est pas belge.

- Le douloureuse question des animaux qui parlent et qui se révèlent plus malins que les êtres humains ne saurait être occultée. Ce poney, là, "Gymnastique" (pff!), vous ne trouvez pas qu'il fait un peu son beau ? A la fin, surtout, lorsqu'il se propose de servir de messager à la famille de Tistou, genre tout va bien, ils sont au courant qu'il parle depuis belle lurette ! Oui, vous pourrez toujours me dire que Tistou laisse parler son inconscient à travers l'animal qui en réalité ne dit rien, mais que voulez-vous, j'aime pas ce poney !


Eh bien, personnellement je me sens mieux ! L'énigme Tistou les pouces verts est enfin résolue...

Références de l'édition utilisée pour cet article :

DRUON, Maurice. Tistou les pouces verts. Paris, Hachette Jeunesse. Coll. Le livre de poche. 1994. 190p. ISBN 2-01-014156-3 


*Je cherche en vain le jeu de mots avec Trounadisse. Quelqu'un l'a repéré ? Tous les autres personnages ont un nom savamment étudié (Moustache, Mauxdivers...)





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