dimanche 16 septembre 2012

Une histoire vraie, pour changer !


Le parc Palmer de Cenon est un endroit bien agréable. Je l'ai découvert en accompagnant les collégiens à leur journée annuelle d'intégration et de présentation des ateliers de l'après-midi. A cette occasion, ils rencontrent les profs des différentes activités proposées dans l'établissement, et ont ainsi un avant goût de ce qu'ils vont pouvoir faire de leurs après-midis au cours de l'année scolaire. Les intervenants sont disséminés au quatre coins du parc, et toutes les classes les visitent successivement, encadrés par leur prof principal et un autre adulte. C'est ainsi que, les 5°, Peio et moi, nous arrivons tous en envahisseurs sur l'aire réservée au prof de jujitsu.  




"Dans cet atelier, on va apprendre différents gestes pour réagir en cas d'agression. Il ne s'agit pas de frapper pour faire mal, mais plutôt de faire ce qu'il faut, ni plus ni moins, pour se défendre."

Mon esprit s'égare ; il y a environ trois ans, j'ai pensé à s'inscrire dans un cours de boxe, ou de jujitsu, ou de self défense, ou de n'importe quoi d'autre qui puisse me permettre de me tirer d'affaire en cas d'attaque. Mais je n'ai pas sauté le pas ; j'étais trop fragile, trop choquée, trop parano... Il fallait que je laisse passer du temps, que j'oublie le vol à la tire et l'agression que je venais de prendre en pleine face. Ma seule véritable envie, à l'époque, était de me venger. Comme je savais que je ne croiserais plus de sitôt mon agresseur, je cherchais en vain un personne à qui m'en prendre. Il fallait que quelqu'un paie, alors je provoquais les situations tendues. Ca ne pouvait rien donner de bon, et je ne regrette pas de n'avoir débuté aucun des arts martiaux possibles : l'état d'esprit requis n'y était pas. Le temps a fait son effet, même si c'est loin d'être parfait.      

C'est chaud. J'ai encore du mal à raconter clairement cette scène qui se reproduit en boucle dans ma tête depuis trois ans. Faisons simple pour les rares personnes de mon entourage qui n'auraient pas encore eu droit à mon petit récit traumatique. 

Un soir, je me suis faite agresser en rentrant chez moi. J'habitais au "Village 5", une petite résidence universitaire située tout près de ma fac. J'étais arrivée devant la porte de mon bâtiment, et je n'avais, à première vue, nulle raison de m'inquiéter : l'éclairage de l'entrée était parfait, tous mes voisins vaquaient à leurs occupations ou rêvassaient à leur fenêtre, il n'était même pas 20h. Aussi, lorsque j'ai entendu des pas précipités résonner derrière moi, j'ai cru qu'il s'agissait d'un voisin pressé de regagner sa chambre. Il pouvait très bien y avoir oublié quelque chose avant de partir Dieu sait où. Je me suis écartée pour lui laisser le champ libre.

En fait, mon hypothèse était fausse. J'ai senti une main tirer avec insistance sur la lanière de ma sacoche. Jean ? Yacine ? Non, un inconnu qui visiblement en voulait à mon ordinateur portable. Il n'était pas question que je le cède à si bas prix : je m'écartai. Il me mit un pain ; je sentis d'autres mains tirer mes épaules en arrière, et, ainsi déséquilibrée, je tombai au sol. Le mec m'arracha ma sacoche tandis que je hurlais. Quel réflexe à la con ! Comme si je pouvais espérer que mes cris allaient susciter le dévouement de quelqu'un !  
Je tentai de me relever, voyant le gars partir avec mon portable. Mais l'autre, que je ne vis jamais que de dos, me balançait des coups de pieds dans le dos pour m'en empêcher. Quand le premier fut à distance respectable, il lui emboîta le pas, prenant au passage mon sac de cours... et de plein d'autres choses bien plus importantes : mes papiers, mon portefeuille et mes clés.  

Il traversèrent ventre à terre le terrain vague avoisinant la résidence jusqu'à la station de tram Doyen Brus. Ils n'eurent pas grand mal à me semer, car je n'avais pas une super condition physique à ce moment-là et, pour ne rien arranger, je continuais à gueuler comme une conne en les insultant, alors qu'ils ne pouvaient même pas m'entendre. Je fis une halte sur la route divisant le terrain ; je poussais des cris de malade, comme ça ne m'était jamais arrivé avant. Un mec au crâne rasé passait à ce moment-là, venant d'on ne sait où ; il se promenait sans doute. Il me toisa longuement, puis se mit à rire et continua sa route. Quel bêtiard ! Enfin, j'avais autre chose à faire.

Suite à cette micro contrariété, j'appelais les flics. Mon téléphone était resté dans ma poche, par chance ; je reconnais que, si c'était bien le dernier objet qui me soit resté, ce n'était pas le moindre. La communication se détériora, alors que le flic me demandait de ne pas raccrocher : je le recevais bien, mais lui ne me captait plus. Je l'entendis pester. "Raa putain, mais ils peuvent pas faire juste ce qu'on leur dit, des fois !" 

Du coup, je raccrochai et appelai ma mère. Encore un réflexe à la con : forcément, je pouvais bien me douter que les problèmes techniques allaient se répéter. J'eus le temps de lui dire le principal (y compris que je me trouvais seule dans un terrain vague, histoire de la rassurer) avant de perdre le réseau, la laissant dans l'inquiétude. 

Enfin, quelqu'un parut s'intéresser à mon sort : un certain Pierre, qui habitait la Résidence Compostelle à quelques rues de là. Comprenant qu'on m'avait porté tort en me piquant mes affaires, il partit en courant à la station Doyen Brus, me laissant son sac de sport en gage de confiance. Il revint bredouille, regrettant de ne pas avoir été plus insistant auprès d'un mec qui portait un sac orange, plutôt féminin. Vraisemblablement le mien. Je le remerciai, en voyant le tram s'arrêter en station et repartir. C'était mort. Il m'emmena chez lui, pris de pitié, me présentant à ses collocs comme une "pauvre fille qui venait de se faire dépouiller", et sa description n'était pas fausse du tout. Puis il appela les flics et leur expliqua la situation. Ils nous donnèrent rendez-vous avenue de Bardanac ; Pierre me suggéra d'aller à l'accueil du Village 5 pour avoir un double des clés de ma chambre, ce que je comptais faire de toute façon. Je croisai alors un voisin, qui me demanda comment j'allais. Il avait entendu mes cris - comme bien d'autres - et avait tenté de me porter secours. "Malheureusement, je n'ai pas pu intervenir. J'habite au quatrième, et de plus j'étais quasiment à poil. Il a fallu que je m'habille. Je m'appelle Aladin, je crois que nous ne nous sommes jamais vus." 

En temps normal, je lui aurais peut-être demandé si c'était son vrai nom, mais à présent plus rien ne me surprenait d'autant plus que je n'avais guère envie de plaisanter. 

Evidemment, les flics ne purent rien faire d'autre que m'encourager à rechercher mes affaires dans les buissons des alentours le lendemain matin, avant de porter plainte au commissariat de ... Lequel, d'abord ? "Allez à celui de Talence, mademoiselle. Quand vous êtes au niveau du cinéma, vous traversez le route et...   
_ Non, il faut plutôt qu'elle aille à celui de Pessac, non ?
_ Ah ouais tu crois." 
J'avais toute la vie pour faire mon choix. 

Je rentrai chez moi, seule avec mon téléphone portable et mon double de clés de chambre. Les heures et les jours ont passé, apportant divers soutiens que je n'oublierai pas. Mais j'ai donné dans le remerciement, peut-être même un peu trop, d'ailleurs, alors pas la peine de m'épancher de nouveau.   


Au mauvais endroit, au mauvais moment

Voilà quelques heures qui ont changé ma vision des choses, et pas forcément dans le bon sens. Je pensais que le phénomène du voisin curieux mais passif était un mythe : en fait, non. Tout le monde était aux fenêtres, mais personne n'a bougé. Mieux, beaucoup m'ont assuré n'avoir "rien vu, rien entendu" avec un aplomb qui m'a mise en rage plus d'une fois. J'ai le souvenir d'une fille qui habitait à deux chambres de la mienne, et qui s'étonnait encore qu'un vol à la tire ait eu lieu tout près de chez elle : c'est fou, elle ne le savait même pas ! A coup sûr, c'était arrivé le jour où elle était à tel ou tel endroit, ou encore... Vingt minutes plus tard, alors que notre entrevue avait pris fin et que je m'étais barricadée dans ma chambre, je l'entendis raconter la scène à un autre voisin au fond du couloir, avec une telle exactitude que j'ouvris la porte. C'était devenu pour moi un geste d'une témérité extrême, mais je voulais m'assurer que c'était bien elle qui parlait. C'était bien elle. 

"T'aurais vu comment ils l'ont laminée en trente secondes, je te jure, la meuf elle a du le sentir passer. Sa mère, t'aurais vu comment qu'elle gueulait, ça t'a foutu un bordel !"
Elle me vit et rentra aussitôt dans sa chambre, entraînant le gars avec elle pour lui raconter la fin de l'histoire. 
"Attends chut c'est elle..."  

Il s'en fallut de peu que j'aille lui fracasser la tête, elle qui n'avait rien fait. 

Ma perception de moi-même a changé. Je n'avais pas peur de grand chose sur le campus, jusque là ; on me disait que je manquais de confiance en moi, mais je n'en croyais pas un mot et répondais que mon véritable problème était sans doute de n'avoir confiance qu'en moi. Mais ce soir-là, je me suis sentie conne, pitoyable, faible et dépouillée : une vraie fille en somme, et ça m'a révulsée. Plein d'idées ont germé : est-ce que ça me serait arrivé si j'avais été un mec ? est-ce que j'étais réellement faite pour être une fille ? C'est réflexions m'ont amenée loin et nulle part. Alors je les ai abandonnées car ça devenait vraiment trop prise de tête.  
    
L'élastique s'est détendu. Enfant, j'avais des accès de colères souvent suivis d'actes violents, mais cela n'effrayait personne : j'étais une fille, je ne serais jamais capable de faire du mal à une mouche ! Pas faux, à première vue ; la marée basse a étouffé les grandes vagues, et je me suis crue tombée dans une indolence excessive qui faisait le bonheur de tout le monde. A dix-huit ans, les choses ont recommencé à tourner au vinaigre pour diverses raisons, mais je gardais le contrôle, je savais m'arrêter au bon moment. C'était parfait. J'avais ni trop, ni pas assez de tempérament, et cet équilibre aurait pu durer longtemps. On dirait bien que ce malheureux jour a cassé tous mes efforts ; je ne dis pas qu'il est la cause de tous mes problèmes, mais il a excité quelques uns de mes bas instincts, et a servi de prétexte à pas mal de débordements qui auraient pu être évités. 

A présent, je suis de moins en moins capable de ravaler cette agressivité qui pourrait bien m'amener trop loin, car je n'en ai absolument aucune envie : comment me défendre, sinon ? Comment vivre en sécurité si je ne fais pas peur aux autres ? 

"Ca, c'est ton affaire ! Tes poings n'engagent que toi !" me direz-vous.

Sauf que non. Je bosse dans le milieu scolaire depuis plus d'un an, et ceux qui connaissent un tant soit peu le secteur sauront à quel point il est dur, parfois, de prendre sur soi pour ne pas coller des baignes _ aux jeunes comme aux adultes_. Mais bon, cette année, je suis pleine de bonnes résolutions et je repère mieux les pièges à éviter. Je suis en territoire connu et ça m'apaise. Alors oui, pourquoi pas commencer une activité sportive (autre que le jogging) histoire de canaliser ce qui peut encore l'être ?   

"Fais de la boxe, me disait mon collègue Pierre (encore un !), l'été dernier. Pas des combats, après t'aurais le nez en vrac. Mais frappe dans des sacs pour te défouler !". Il a toujours d'excellents conseils, j'aimerais bien trouver la force de suivre celui-là.  

Que c'est bon de pouvoir, enfin, mettre des mots sur cette mésaventure ! 


    


         

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