lundi 25 juin 2012

Quand le je-m'en-foutisme mène aux sueurs froides...



Quel casse-tête de contenir des gosses dans une salle d'étude quand l'année scolaire touche à sa fin et qu'ils vous rabâchent qu'ils n'ont "rien à faire" _ et pour le coup, ils ne mentent pas. 

Julien, petit cinquième en pleine émancipation, finalise mentalement la connerie qu'il va me sortir.

"Adeline, t'as des jeux sur ton portable ?
_ Non, je n'en ai pas
_ C'est pourri. Moi j'ai plein de jeux.
Je hausse les épaules.
_ Ouais ben moi j'ai passé l'âge. Mon téléphone me sert uniquement à passer des appels et envoyer des textos.
_ Et t'as de la musique ?
_ Non plus. De toute façon, j'ai pas de carte mémoire.

Julien s'étonne.

_ Bah, et alors ? ça veut dire que tu dois mémoriser tous les numéros de tout le monde ?

_ Non non. Le téléphone possède quand même un minimum de mémoire pour les numéros, la boîte de réception, et pour quelques photos. Mais au-delà d'une certaine quantité d'informations, il sature et il a besoin d'une carte mémoire en complément.

Sous son nez, je retire la coque de mon portable et je lui montre l'emplacement de la carte mémoire aussi vide qu'une noix pourrie. Au fond de la salle de classe, les Quatrièmes s'excitent un peu, mais je n'en ai strictement rien à foutre puisqu'ils sont, tout comme moi, presque en vacances. Je lève les yeux de temps en temps, histoire de m'assurer qu'ils ne font pas de trous dans le mur avec leurs propres têtes. Grégory est un jeune pompier volontaire aussi imbu de sa personne qu'un professionnel. Les cerveaux des trois filles qui l'entourent (Sarah, Laureen, Déborah) se sont depuis longtemps évaporés dans l'ébullition de leurs hormones.


Julien n'est pas convaincu. Son voisin Timothée n'en revient toujours pas que j'exhibe mon téléphone sans la moindre gêne. Rien ne me plaît plus que de voir leurs yeux ébahis devant la chute des frontières qui nous séparent, bien que ce plaisir amène sa part de dangers.    


_ C'est pourri !

_ C'est ta phrase favorite

_ Ben moi, mon portable, je mets tout ce que je veux dessus, et j'ai pas eu besoin de mettre de trucs en plus dedans. Tu veux voir ?

_ Non.

_ Mais c'est une blague, je sais que j'ai pas le droit.

Il s'amuse à faire glisser son portable de son sac posé sur la table vers l'intérieur de sa manche pour voir ce que je vais lui dire.

15 heures, enfin. Allez, du vent les drôles ! Puisque vous m'avez demandé l'heure toutes les trente secondes depuis la demie, puisque vous avez tenté de me gruger sur la "minute exacte", l'heure du collège et l'heure universelle, vous me voyez particulièrement heureuse de m'entendre dire : "Rangez les chaises, n'oubliez pas vos affaires, descendez dans le calme". Ceux qui se battaient quelques minutes plus tôt pour savoir qui obtiendrait le privilège d'effacer le tableau, s'en battent à présent les couilles ; tant mieux. Il ne reste que Julien, toujours un peu plus mollasson que la moyenne pour descendre, surtout quand il sait qu'il va croiser des gosses plus grands que lui : ça le terrorise, d'être un "petit".

_ Tiens, Julien, toi qui voulais effacer le tableau, fais-toi plaisir !

Pendant ce temps, je vais ranger deux ou trois chaises restées en bataille au fond de la salle, avant de récupérer ma chemise et de regagner la cour de récréation. Sauf que... plus de portable. Ni dans mes poches, ni sur le bureau, ni dans le tiroir du bureau, ni dans la chemise. Je fais le tour de la classe, jette un oeil dans la poubelle... Pas de doute, un gosse s'est barré avec.

Les paroles de Pierre, mon collègue, me griffent la gueule. "Adeline, fais gaffe, tu laisses trop traîner ton portable (dans le bureau de la vie scolaire, principalement), un jour il va disparaître". Tellement vrai. Mais c'est plus fort que moi.

Après un autre tour de la salle, les sueurs froides persistent autant qu'une forte colère contre moi-même. Des pas feutrés se font entendre dans le couloir, accompagnés de gloussements étouffés. Julien et Timothée passent la porte.

_ Allez dans la cour, vous n'avez rien à faire ici.

_ Heu mais Adeline, on pense que c'est à toi.

Il me tend mon portable, éteint et aussi brûlant que s'il s'était retrouvé au beau milieu d'une partouze.

_ C'était une blague, c'est ça ? Vous êtes des crétins, franchement.
_ Mais c'est pas nous. C'est un grand qui jouait avec et qui nous l'a donné.
_ Ouais, et qui ça ?
_ Eh ben, on sait pas comment il s'appelle...
_ Ouais c'est ça. Allez, rigolez un bon coup et allez faire les zouaves dans la cour.
_ Oui mais regarde s'il marche d'abord.
_ Mais bien sûr qu'il marche.

J'allume le téléphone ; carte SIM bloquée. Tiens, la première fois que ça lui arrive en 9 ans, la pauvre ! Je flippe un peu, n'ayant pas le code PUK sur moi. L'important est qu'ils ne s'en aperçoivent pas. Mais le déblocage s'exécutera finalement avec une grande facilité via le site Internet de l'opérateur.

_ Je sais que c'est toi. Mais t'as beau faire ton malin, t'es pas aussi vicieux que tu le voudrais. Tu t'es contenté d'éteindre directement le portable et de le bloquer alors que tu aurais pu passer des appels, lire les messages. Non seulement t'es un gentil, mais en plus t'as pas d'imagination. Enfin, ces deux traits de caractère sont souvent liés !

Il détourne les yeux.

_ Mais c'est pas moi, j'te dis.

_ Ouais, c'est ça.

J'avais envie de lui choper les joues entre mes doigts, et de tourner, tourner à lui crever la peau. Mais il semblerait que cela lui arrive déjà assez fréquemment, alors pourquoi en rajouter ? Patiente encore un peu, gamin, et dans quelques années tu n'auras plus à feinter pour faire tes conneries, car tu seras en mesure de rendre les coups qu'on t'envoie !
    

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